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coup ses imprudences passées, se trouva aux prises avec une fièvre qui faillit l’emporter. Le 19 septembre seulement, après avoir assisté la veille dans une salle de spectacle fort élégante à une représentation de la Sonnambula, il en repartit dans une vieille tarantasse qu’il avait dû acheter, son état de souffrance ne lui permettant pas de supporter les rudes allures de la telega. Sur la route d’Erivan, où il arriva le 23 septembre au soir, il trouva, semées au bord du lac Gokchah (qu’on appelle aussi le lac de Sivan), plusieurs colonies russes, Chabluki, Élénooka, Nijni, Akhtinski, Fontanken, Eliar, qui lui parurent en voie de grande prospérité agricole. Les deux Ararat étaient alors devant lui avec leurs flancs dépouillés et leurs cimes neigeuses, puis, au sommet da plus haut des deux pics, avec cette plate-forme ou terrasse qui semble disposée pour qu’après un second déluge une arche nouvelle vienne encore s’y arrêter. La physionomie des habitans, comme l’aspect des lieux, se prête à l’évocation des souvenirs bibliques. On rencontre, allant aux champs, des patriarches à longue barbe grise, de grands jeunes gens à la chevelure bouclée qui rappellent les types traditionnels de nos ancêtres les plus éloignés. Nakhshevan (mot à mot la première halte), ville autrefois populeuse, maintenant ruinée, porte ce nom parce que Nùh (Noé) s’est arrêté là pour la première fois en descendant l’Ararat. Sa tombe plus ou moins apocryphe s’y voit encore dans un cimetière arménien dominé par une forteresse en ruine. A quelque vingt verstes plus loin commencent les gorges étroites bordées de rochers perpendiculaires qui, se prolongeant sur une étendue de plusieurs milles, vont déboucher au bord du large fleuve Aras. Ce défilé terrible, sur les pentes duquel le voyageur se laissait pour ainsi dire glisser, lui apparaissait, au clair de la lune, balayé par les bouffées d’un vent impétueux, dans la nuit du 25 au 26 septembre. Julfah, la station de quarantaine, ne le retint que très peu d’heures, et dans l’après-midi de ce dernier jour, l’Aras une fois traversé, il se trouva sur le territoire persan. Ce n’était pas sans quelque effort. La garde placée à la frontière se porta au-devant de lui; les anciens se rassemblèrent pour le complimenter et lui offrir des fruits, et dès qu’il eut répondu comme il le devait à ces marques de courtoisie, il se remit en route sur un cheval boiteux (car la tarantasse ne l’avait pas mené bien loin), affrontant les ardens rayons du soleil et les menaces d’un orage prochain.


II.

L’aspect général de la Perse, fidèlement décrit par certains voyageurs[1], contraste singulièrement avec les riantes idées que laisse

  1. Entre autres par James Baillie Fraser dans ses voyages au Khorassan (1825).