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bleaux galans dans le style de Greuze ou de Watteau; mais les grenouilles ont envahi les pièces d’eau où se baignaient les sultanes, et le long des avenues de cyprès quelques pauvres paysannes courbées vers la terre cherchaient parmi les plantes que le hasard y avait semées un misérable équivalent au riz dont elles étaient dépourvues. La disette, les Turcomans, on ne parlait point d’autre chose au sahib en voyage. Les paysans accouraient vers lui comme vers un protecteur naturel; les agens du pouvoir se plaignaient presque à l’égal de leurs administrés : la dépopulation du pays le livre, selon eux, aux bêtes féroces, les tigres le disputent à l’homme. Le gouverneur d’Ashraf organisait un chapäo (une razzia) pour se venger de je ne sais quelle incursion récente. Les villageois de Farahâbad, dix jours auparavant, s’étaient vu enlever leur kadkhuda, dont il fallait maintenant trouver la rançon. « Ayez pitié de nous! disaient-ils, et faites savoir au shah ce que nous souffrons. Il faudra bien, s’il ne nous protège, ou se laisser enlever par les Turcomans, ou passer la frontière et fuir chez les Russes. » Et comme le voyageur alléguait, pour s’abstenir, sa qualité d’étranger : «Vous êtes Anglais, lui disaient-ils; eh bien ! nous serons Anglais quand vous voudrez... Nous serons à quiconque pourra nous défendre. »

Plus loin, à Sari, ce sont d’autres griefs : un prince du sang, remarquable par son intelligence, racontait que son frère, étant gouverneur d’Asterabad, avait demandé au ministère persan l’autorisation d’exploiter de vastes houillères signalées dans le voisinage de Shârùd, et dont le produit était acheté d’avance en totalité par le Commodore russe d’Ashuradah ; mais ce haut fonctionnaire n’aurait pu ni obtenir le droit de se livrer à cette spéculation, ni décider les autorités de Téhéran à la faire pour le compte de l’état. Kubad (dans le Mazanderan) possède, à ce qu’il paraît, des mines de cuivre et de plomb que des appréciateurs compétens regardent comme très importantes; la même incurie empêche d’en tirer parti. Sari, où ces discours se tenaient, nous est décrite comme une ville moderne, bâtie à peu de distance d’une grande cité du même nom où, s’il faut en croire les traditions du pays, le fabuleux Afrasiab, 3000 ans avant Jésus-Christ, avait rassemblé tous les nobles de la Perse pour les y garder prisonniers. Un ancien voyageur, Jonas Hanway, y signale quatre « temples du feu » qui subsistaient encore de son temps, bien que la construction en remontât évidemment à une époque très reculée. Sari, perdue en un vaste marécage, n’est renommée aujourd’hui que pour ses grenouilles et ses fièvres.

Pendant ce rapide et fatigant voyage de deux mois, le secrétaire de la légation britannique eut mainte occasion de souhaiter à la Perse un réformateur, un organisateur qui recommençât pour