Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distance en distance entre deux haies vives festonnées de chèvre-feuilles, d’églantiers et de clématites sauvages. Dans l’une de ces avenues bordée de grands arbres, une jeune lady, un chapeau rond sur la tête, un arc détendu à la main et les poches de sa robe pleines de flèches dont on voyait passer les dards, s’avançait avec l’assurance et la démarche de la Diane chasseresse. Elle entra dans l’archery ground, verte pelouse entourée de barrières et consacrée aux exercices du tir à l’arc. Là, elle décocha successivement plusieurs flèches dirigées avec adresse vers une grande cible ronde au centre de laquelle se détachait vigoureusement un gros point noir pareil à la prunelle d’un œil de cyclope. Les habitans du Devon et de la Cornouaille étaient autrefois de vaillans archers; ils ont conservé l’habitude et la pratique de cette arme, non plus naturellement comme moyen de défense, mais comme manière de sport. Aussi forment-ils, réunis ensemble, une compagnie d’élite connue sous le nom de Devon and Cornwall archery company.

Du côté de la ville, un des versans de cette colline se précipite par une pente abrupte vers les sables dont l’embouchure de l’Exe se montre encombrée. On se trouve ainsi tout à coup en présence d’un grand fleuve ayant près d’un mille et demi de largeur et frayant avec difficulté son chemin vers l’Océan, qui le repousse. Sur l’un des points les plus avancés vers la mer s’élève à l’extrémité d’Exmouth un poste d’observation signalé par un grand mât au bout duquel flotte un drapeau, flag staff. Là, dans un cercle entouré d’une enceinte de pierre blanche et pavé avec les cailloux noirs de la mer, un homme revêtu d’une longue casaque imperméable et d’un chapeau rond veille jour et nuit, tenant à la main une lunette marine qu’il braque sur les divers points de l’horizon occupés par les grandes eaux. Son devoir est de s’assurer s’il ne découvre pas en mer quelque bâtiment donnant des signes de détresse. Derrière cette station maritime se groupent dix-sept maisons éclatantes de blancheur et habitées par vingt-trois gardes-côtes, coast-guards. Au centre de cette petite colonie s’élève le bâtiment commun dans lequel les gardes-côtes se rassemblent pour les affaires du service, et où ils conservent leurs armes dans une armoire vitrée portant cette inscription : « l’Angleterre compte que chacun fera son devoir! » Ce sont les paroles mêmes de Nelson avant la bataille de Trafalgar, et ce fut son dernier mot d’ordre. Des fenêtres de cette maison et de la plate-forme qui l’entoure, le regard s’étend sur une perspective aux lignes immenses et vigoureusement accusées. D’un côté se déploient la mer et la ceinture des côtes hérissées de hardis promontoires, parmi lesquels se dresse Berry head, un sombre géant qui a soutenu depuis des siècles un combat perpétuel contre les