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pièces. Neuf personnes, cinq hommes de l’équipage et quatre passagers, survivaient seules au désastre. Les autres, qui avaient cherché un refuge sur le rocher, avaient été successivement enlevées par les vagues lourdes et glacées qui l’escaladaient de moment en moment. Le capitaine et sa femme étaient morts, étroitement serrés dans les bras l’un de l’autre. Une mère tenait dans ses mains raides et crispées deux enfans, un garçon et une fille, l’un âgé de huit ans, l’autre de douze, tous les deux suffoqués depuis longtemps par l’étreinte des lames. Les neuf survivans furent reçus dans le canot. Pâles comme des ombres, ils regardaient dans une muette stupeur cette jeune femme intrépide, Grâce Darling, qui les ramenait vers le rivage. Le temps était si mauvais qu’on ne put regagner la terre que dans la journée du dimanche. Grâce Darling recueillit dans l’intérieur du phare (light-house) les neuf victimes qu’elle avait sauvées. Pendant trois jours et trois nuits, elle les soigna, les consola, et leur rendit l’espérance après leur avoir rendu la vie. Cette noble conduite excita dans toute la Grande-Bretagne un transport d’enthousiasme. La peinture, la musique, le théâtre, la poésie, célébrèrent à l’envi les horreurs de cette nuit funèbre et le courage de Grâce Darling. Son exemple n’a point été étranger aux actes d’héroïsme qui se renouvellent en quelque sorte à chaque tempête. Il semble que toutes les femmes anglaises aient senti vibrer en elles comme un écho du cri généreux de Grâce Darling : « mon père, ils se noient, et nous pourrions les secourir ! » La station de Wicklow, une succursale de la société des life-boats de Londres, proposait, il y a un ou deux ans, à l’institution centrale de récompenser le dévouement d’Elisa Byrne, une Irlandaise, qui avait sauvé une jeune fille sur les côtes de son pays. La jeune fille se baignait quand tout à coup elle disparut sous les vagues. Eli sa Byrne était à quelque distance sur le rivage; elle s’attacha autour de la taille une corde dont elle fit tenir le bout par une autre femme, puis, tout habillée, elle s’élança dans l’eau, plongea et saisit l’infortunée, qu’elle ramena ainsi à terre avant que la dernière étincelle de vie ne fût éteinte. C’était la troisième personne qu’elle sauvait depuis quelques années.

Un des plus célèbres naufrages en Angleterre est celui du Royal-Charter, qui eut lieu le 25 octobre 1859. Ce bateau à vapeur ramenait en Angleterre quatre cent quatre-vingt-dix personnes, lorsqu’il fut assailli durant la nuit par de terribles coups de vent sur la côte d’Anglesey. La mer se ruait avec une violence sans pareille contre les rochers. Un marin, Joseph Rogers, jugeant que le navire lui-même ne pourrait soutenir longtemps le poids des vagues qui l’accablaient, résolut de sauver les passagers. Pour exécuter ce plan,