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ment de la ville de Paris. M. Necker écrivit à cette occasion la lettre suivante à Pitt : « J’éprouve en vous écrivant, monsieur, des sentimens bien différens, l’un de tristesse lorsque je réfléchis au sujet de cette lettre, l’autre excité par une plus douce émotion en pensant que je m’approche pour la première fois de ma vie d’un ministre dont les rares vertus, dont les sublimes talens fixent depuis longtemps mon admiration et celle de toute l’Europe. Recevez, monsieur, un hommage qui aura peut-être un léger prix à vos yeux, si vous pensez qu’il vous est rendu par une personne à qui l’expérience a fait connaître les difficultés des affaires publiques, la multitude infinie des combinaisons qu’elles présentent, et quelquefois l’inconstance du jugement des hommes. »

Le parlement dans lequel Pitt avait trouvé depuis six ans un si constant appui touchait à sa fin; mais avant sa dissolution arriva en Angleterre la nouvelle d’un incident qui faillit amener une guerre avec l’Espagne. Le capitaine Cook, dans un de ses voyages sur les côtes occidentales de l’Amérique du Nord, avait exploré à l’île de Vancouver une baie étendue, appelée Nootka, et signalé les avantages que trouverait le commerce à y faire des approvisionnemens de fourrures pour les transporter en Chine. En conséquence, quelques négocians anglais établis au Bengale y avaient envoyé en 1786 deux bâtimens avec l’assentiment du gouverneur-général des Indes, et le résultat de l’entreprise avait été si heureux que deux autres y avaient été expédiés en 1788. Des terrains avaient été achetés aux chefs indigènes, des constructions élevées, et le pavillon anglais y avait été hissé; mais le gouverneur du Mexique, prétendant qu’en vertu d’une bulle du pape tout le territoire de la côte occidentale d’Amérique, depuis le cap Horn jusqu’au 15 degré de latitude, appartenait au roi d’Espagne, avait envoyé à Nootka deux vaisseaux de ligne dont les équipages s’étaient emparés des terrains occupés par les Anglais, ainsi que de leurs établissemens, et avaient abattu leur pavillon pour le remplacer par le drapeau espagnol. Les navires chargés de marchandises qui se trouvaient dans la rade avaient été pris, emmenés dans les ports du Mexique, et les hommes qui les montaient faits prisonniers.

Au premier avis de ces événemens, Pitt avait adressé à la cour de Madrid des représentations énergiques. Il avait été répondu que les droits de l’Espagne sur le territoire de Nootka étaient positifs, que cependant, ces droits étant sans doute ignorés des négocians qui y avaient établi des comptoirs, le vice-roi du Mexique avait ordonné de relâcher les bâtimens saisis et leurs équipages; mais, loin d’offrir quelque indemnité ou satisfaction, le gouvernement espagnol revendiquait la reconnaissance de son droit exclusif de souve-