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Saxe. Maurice est un soldat et un soldat d’une espèce particulière, le soldat qui a besoin de courir les hasards et de poursuivre les aventures. On a remarqué avec raison que les hommes entrés dans le monde d’une façon irrégulière avaient ordinairement quelque chose de hardi, de provocateur, comme s’ils se croyaient obligés de lutter contre l’ordre social et de s’y faire une place l’épée haute. Ce sentiment, assure-t-on, se retrouve chez les plus humbles; que sera-ce donc chez un bâtard de roi! Maurice était le fils illégitime d’un souverain qui, par ses qualités personnelles, mélangées de beaucoup de vices, par son courage, sa présence d’esprit, son jugement politique, avait joué un rôle considérable parmi les princes de son temps, un rôle bien plus grand à coup sûr que ne le comportait l’étendue de ses états. Il avait vu de près cette grandeur royale; il touchait le trône, si l’on peut dire, et il en était séparé par un abîme : de là peut-être l’usage ardent, mais fiévreux, des rares qualités qu’il avait reçues, de là ses ambitions et ses désordres. A travers la noblesse de son esprit et la générosité de son cœur, on sent percer en mainte occasion le signe que nous venons de décrire. Pourquoi l’a-t-on marié encore enfant à une enfant comme lui, qui, vertueuse ou légère, jalouse ou indifférente, ne peut être qu’un embarras sur son chemin? Il est soldat et il cherche un royaume. Il le cherchera toute sa vie, en Courlande d’abord, plus tard dans l’île de Corse, plus tard enfin à Madagascar ou dans les terres vierges de l’Amérique. A l’époque même où il immortalise son nom au service de la France, quand il bat à Fontenoy, à Raucoux, à Lawfeld, les armées dans les rangs desquelles il avait appris les premières notions de la guerre, est-ce seulement l’amour de la gloire qui l’inspire? Non, il veut un trône dans quelque coin de l’univers, il rêve à ce que pourrait faire un homme habitué à commander les hommes, il rêve aux moyens de constituer quelque part, fût-ce dans l’autre hémisphère, une nation virile et façonnée comme les Romains au maniement des armes; il rêve... Ah ! ce n’est pas un vain mot qu’il a tracé lorsque, composant dans ses loisirs le livre qui résume sa destinée, ce livre tout militaire, tout technique, où l’on n’a vu jusqu’à présent que le bréviaire du général en chef, il l’intitule hardiment : Mes rêveries. Maurice de Saxe, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui d’après les révélations des archives de Dresde, est un chercheur d’aventures, mais d’aventures héroïques; c’est un rêveur de race royale.


SAINT-RENE TAILLANDIER.