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races anglo-saxonnes, développe la sensibilité et la tendresse de l’âme, comme la mélancolie et le goût de la contemplation. Souvent les chants populaires des peuples scandinaves expriment des sentimens de joie, et cependant la mélodie en est toujours plaintive : c’est que la tristesse est le fond même du caractère des hommes du Nord. Les campagnes couvertes de glace ou ensevelies sous un linceul de neige, les brumes de la mer orageuse, les noirs rochers, les longues nuits et les longs crépuscules, tout fait naître dans ces froides régions de douloureuses pensées. Le regret de ceux qui ne sont plus, l’espoir d’un monde meilleur, la secrète harmonie entre les souffrances de l’âme et le deuil de la nature, c’est là l’inspiration du monarque poète. Ses vers sont pleins de larmes, et ils gardent toujours quelque chose d’élégiaque alors même qu’ils célèbrent les exploits des héros ou les émotions farouches des batailles.

La mythologie scandinave est d’ailleurs une source féconde. Trop longtemps dédaignée en faveur des fables de la Grèce et de Rome, elle a été remise en lumière comme se rattachant aux antiques souvenirs de la patrie, et les poètes suédois ont rajeuni les chants des scaldes. A côté de bien des bizarreries grossières et souvent monstrueuses, cette mythologie présente des aspects d’une grandeur saisissante. Tour à tour mélancolique et belliqueuse, elle rêve et elle combat. Elle chante lei hauts faits des douze grands dieux, des Ases, dont Odin est le chef. En lutte perpétuelle contre les divinités jalouses, contre les nains et les géans, les Ases n’ont point reçu en partage l’éternité. Le ragnarok ou crépuscule des dieux est inévitable. L’attente de cette catastrophe toujours pressentie donne aux poèmes une teinte austère et sombre. Jusqu’à cette heure fatale, Odin habite le Valhalla, lieu de récompense où sont réunis, sous le nom d’einhériars, les esprits des héros qui ont succombé dans les batailles. Quand la trompette résonne sur terre, Odin envoie les valkyries, vierges aux yeux bleus, chercher les âmes des guerriers qui sont morts le glaive à la main. Un courageux suicide est aussi un moyen de mériter l’entrée du séjour de délices. « L’homme ne doit pas abandonner lâchement la terre où il a vécu. Ceux que les nornes n’ont pas désignés pour succomber sous le fer ennemi ne doivent pas finir dans le lit l’existence que les dieux leur ont laissée. Qu’ils tracent dans leur sein avec la pointe de l’épée des caractères sacrés! Que des ruisseaux de sang sortent de leurs blessures[1] ! »

C’est cette mythologie qui, jointe à des inspirations modernes, anime de ses fictions les poèmes du roi Charles XV. Le plus remarquable est la légende d’Heydé, fille du roi Gylfe. Odin, vainqueur d’une partie de l’Allemagne, a pénétré jusque dans la Scandinavie. Le roi Gylfe y occupe encore le trône; mais ses mains sont déjà trop affaiblies pour porter le sceptre, son épée se rouille dans le fourreau, son bouclier oisif reste suspendu dans la grande salle des festins. Le vieillard fait à Odin un accueil

  1. Heydé, poème du roi Charles XV, chant VIII.