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nent des murs maçonnés. Ce système a le double avantage d’opposer au mouvement des terres un obstacle presque insurmontable, et d’offrir à la vigne de nombreuses parois de murs contre lesquelles elle est dirigée en lignes palissées sous une température élevée par la réflexion des rayons du soleil; mais ce système de défense, qui exige une main-d’œuvre considérable, ne peut être appliqué que dans les pays où le capital d’exploitation est abondant, où la culture est arrivée à un certain degré de perfection. On en voit pourtant un commencement d’application rudimentaire dans la partie supérieure de la vallée de l’Isère : les murs qui brisent la pente sont de simples entassemens de schistes et de loses promptement dégradés. Le vigneron savoyard n’oppose aux agens naturels que la force de son bras et de ses épaules. Quand la ravine d’eau a passé, son œuvre à lui commence : il rapporte sur son dos la terre autant de fois qu’elle est entraînée. Le désastre est si fréquent sur certains coteaux, que le propriétaire prévoit le cas dans son contrat de métayage. Le plus souvent il s’associe à la réparation du ravage pour une part égale à celle du vigneron ; mais il arrive aussi que celui-ci, nouveau Sisyphe, est seul condamné, par stipulation expresse, à rouler le rocher. Cette stipulation, que nous avons lue dans un contrat, jette une lumière étrange sur la condition du métayage dans, quelques districts de la Savoie. Heureusement le cas est rare, et à côté de ce propriétaire qui fait de pareilles conditions au colon il en est de généreux qui sont réellement ses associés, et qui lui viennent en aide dans les accidens de cette sorte.

La défense naturelle du vignoble, c’est la forêt dominante. La variété de ses fonctions utiles est véritablement prodigieuse. Par son feuillage protecteur, elle arrête les courans atmosphériques, elle rompt le vent bien plus efficacement qu’un obstacle résistant, tel qu’un mur ou un rocher; elle attire les météores destructeurs, les orages, la grêle, les trombes d’eau, qui sont détournés des cultures; elle prend à l’atmosphère son humidité dans les temps de pluie, et la rend, dans les grandes chaleurs, en rosées et en ondées bienfaisantes, établissant ainsi un équilibre de température qui assure le développement et l’égale maturité des plantes. Par ses racines, qui se ramifient à l’infini, elle affermit le flanc de la montagne, elle boit avidement les eaux du sous-sol, ralentit le débit de celles qui courent à la surface, et les empêche de descendre sur le coteau en torrens dévastateurs. Enfin elle exerce dans un rayon que la science n’a pas encore mesuré une action qui s’étend à toutes les conditions du climat, à la chaleur, à l’humidité, à la végétation, et jusqu’à la qualité des produits agricoles. On a reconnu par exemple qu’à l’abri d’une forêt qui la protège contre les vents froids, la vigne mûrit