Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/609

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été vaincue et que le paysan est libre de se mouvoir, d’aller et de venir ; mais c’est depuis 1815 seulement qu’on l’a étudié. Il a déplacé depuis cette époque une moyenne de 25,000 individus par année sur une population de moins de 600,000 et ramené au pays une somme estimée à un louis par tête avant la révolution, à 30 fr. sous le premier empire, à 100 francs après 1815, et dans ces derniers temps à 200 francs, par suite de l’augmentation du salaire dans les conditions les plus humbles où se verse l’émigration. C’est donc une somme d’environ 200 millions depuis 1815, ramenée au pays et entièrement portée sur le sol, car ce qui détermine ce mouvement, c’est l’ambition bien légitime de payer avec l’épargne amassée au dehors le coin de terre acheté le plus souvent à crédit et à long terme. Ce flot de numéraire qui est tombé sur le sol, principalement sur le sol de la région haute, où l’émigration est plus nombreuse qu’au fond de la vallée, l’a pulvérisé et en a fait monter le prix de vente bien au-dessus de la valeur réelle.

L’abondance du numéraire dans les montagnes a mis la terre dans les mains de celui qui la cultive. Au-dessus d’un certain degré d’altitude, on ne rencontre plus que des propriétaires-cultivateurs : le fermage et le métayage sont rejetés dans les parties basses. La raison de ce phénomène économique est simple : toute la partie de la population qui n’est pas propriétaire ne saurait que faire sur ces hauteurs pendant les longs hivers, et elle émigré pour devenir propriétaire. La terre est vivement disputée, on la paie fort cher, et c’est une mauvaise spéculation que ce placement ; mais le petit propriétaire de la montagne ne calcule pas si elle lui donne l’intérêt de son argent : pour établir le rendement d’un champ, il ne fait jamais entrer en ligne son travail et ses sueurs. A ce compte, il faut que la terre soit bien ingrate pour qu’elle ne rende pas l’intérêt de l’argent qu’elle coûte.

Le système d’exploitation change en descendant les versans, la propriété de la terre échappe aux mains qui la cultivent, et le métayage remplace la culture du propriétaire même. Si l’on approche de l’une de ces fermes chétives travaillées à moitié fruit, ce qui frappe d’abord, c’est le mauvais état de la construction rurale, cachée entre les grands arbres, couverte de chaume, ramassée sur elle-même, privée d’air et de lumière, et ne fournissant à la contribution des portes et fenêtres presque aucune matière imposable. Le métayer habite avec sa famille un rez-de-chaussée qui n’a pas même un plancher pour garantir de l’humidité du sol le pied nu de ses enfans. Il mange un pain noir et compacte, fabriqué avec du sarrasin, du seigle et un peu de blé. La viande de boucherie, il ne la connaît que lorsqu’il va au marché de la ville. S’il a quelque