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noncer les noms n’était en mesure de protéger efficacement les intérêts de la Courlande; je leur insinuai enfin que le meilleur choix qu’ils pussent faire était d’élire pour duc le prince royal de Saxe, fils de votre majesté. Cet avis fut très goûté, non-seulement du colonel de Brink, mais de plusieurs autres encore, tels que les Firxe, les Korffe, etc. Ils me promirent de prendre l’affaire à cœur et de ne rien négliger pour obtenir l’adhésion des états. Votre majesté daignera sans doute, de son côté, ordonner les mesures nécessaires; bien que je ne puisse dès à présent affirmer la certitude du succès, je crois pourtant qu’il y a de grandes chances de réussite, pour peu qu’on agisse sous main et avec le duc et avec les états. Le prince Menschikof se donne beaucoup de mouvement pour s’assurer ce duché; il y a ici certains Courlandais, par exemple M. de Renne, qui a été autrefois maréchal-général, et plusieurs autres, mécontens aussi du duc Ferdinand, qui cherchent protection auprès de lui. L’ex-conseiller Lœvwnwolde m’a dit en confidence que le prince Menschikof l’avait entretenu de cette affaire et s’était laissé aller jusqu’à lui annoncer ses projets à l’égard du roi de Pologne; son projet est de faire offrir à votre majesté une somme de 200,000 roubles, pour qu’elle veuille bien appuyer sa candidature en temps utile. »


Le ministre de Frédéric-Auguste répondit à M. de Vitzthum que le roi ne prendrait aucune mesure en ce qui le concernait. Les instructions ajoutaient : « Continuez néanmoins de traiter l’affaire en votre nom chaque fois que l’occasion s’en présentera, car si le projet de faire élire le prince royal ne paraît point praticable, sa majesté verrait avec plaisir que les bonnes dispositions de la diète se reportassent sur un prince de sa maison. » Quel était ce prince auquel pensait le roi de Pologne? S’agissait-il de Maurice, alors âgé de quinze ans, de ce Maurice héroïque et incommode que nous avons vu tour à tour en disgrâce ou en faveur auprès du roi, mais que soutenait sans cesse l’ambition inquiète de sa mère? Il faudrait bien un jour lui faire sa place dans le monde; le roi, sans avoir aucun plan arrêté, voulait-il simplement ménager les chances qui s’offraient et se réserver une ressource pour l’avenir? C’est une idée qui se présente tout d’abord à l’esprit quand on se rappelle les démarches, les instances passionnées d’Aurore de Kœnigsmark; mais le comte de Flemming était là, toujours prêt à contrecarrer ses desseins, ayant d’ailleurs pour lui-même des visées fort singulières qui se dévoileront plus tard, et il est certain que, si le roi de Pologne pensa un instant à Maurice, il dut songer bientôt à un autre candidat, à un candidat moins jeune et mieux en mesure de mettre à profit les circonstances. On ne savait pas en effet que l’ouverture de la succession de Courlande serait ajournée encore d’une quinzaine d’années. Quoi qu’il en soit, la lettre du comte de Vitzthum est un curieux document, puisqu’elle nous montre dès 1711 les convoitises du prince Menschikof et le travail de la diplomatie saxonne,