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tifs. Lefort croyait pourtant qu’il serait facile d’écarter cette dernière opposition en donnant au prince « un os à ronger. » On savait que la France et l’Angleterre avaient certaines vues sur cette affaire, et qu’elles proposaient de donner la Courlande au duc de Holstein- Gottorp, à la condition qu’il abandonnerait le Slesvig au Danemark; or Menschikof aimerait cent fois mieux avoir affaire au roi de Pologne que de voir deux puissances, comme la France et l’Angleterre, intervenir dans ce débat, et fonder quelque chose de définitif. Informé de la situation, Maurice fait demander au roi son père de vouloir bien écrire directement au prince Menschikof. C’est par l’entremise du comte de Manteuffel qu’il adresse cette prière au roi, et il profite de l’occasion pour ajouter : «Comme j’ai appris que le titre de comte choque la duchesse de Courlande, faites en sorte, je vous supplie, monseigneur, que dans cette lettre sa majesté me nomme simplement : mon fils légitime Maurice de Saxe. » Est-ce légitime qu’il a dit, ou bien légitimé? Le terme exact serait légitimé; mais il en coûte si peu d’oublier un accent! Le comte de Manteuffel répond à Maurice (15 juin) que le roi a daigné consentir à sa demande. Sa majesté a écrit au prince Menschikof au sujet des intérêts de son fils, « et cela, ajoute-t-il, en termes généraux, sans que votre excellence soit qualifiée de comte. » A partir de ce moment, Maurice lui-même va renoncer, pour quelque temps au moins, à ce titre de comte qui choque les oreilles des princesses russes; il signera simplement Maurice de Saxe.

Tandis que soldats et diplomates sont ainsi en campagne pour l’élection de Maurice, ce serait un singulier oubli que de ne pas mentionner leurs auxiliaires. On voit paraître ici toute une légion de femmes qui, d’un bout de l’Europe à l’autre, s’intéressent avec passion au succès du héros. Étrange assemblage où se retrouve l’immorale et brillante mêlée du XVIIIe siècle! Tous les rangs sont confondus, et non-seulement tous les rangs, mais tous les genres d’affection : une mère, une comédienne, une fille d’empereur, de grandes dames de Dresde, de Varsovie, de Mitau, de Riga, — mille e tre, comme dit Leporello. Il faut d’abord nommer Aurore de Kœnigsmark, la doyenne de Quedlinbourg, qui, du fond de son abbaye, s’occupe de vendre ses bijoux pour fournir à son fils le nerf de la guerre. Adrienne Lecouvreur, qui l’ignore? a précisément la même pensée pour venir au secours de son amant. Les joyaux de l’actrice parisienne, hélas! fournirent une somme bien autrement élevée que les joyaux de l’abbesse protestante. Parmi les femmes qui, de leur bourse, de leur influence, de leurs prières, directement ou par leur famille, servirent à l’envi les intérêts de Maurice de Saxe, l’histoire doit citer : à Saint-Pétersbourg Elisabeth Petrovna, à Mitau Anna Ivanovna, à Varsovie la maréchale Viélinska, à Riga la belle com-