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bourg avec tanto di naso[1] . Il a joué à Riga positivement la comédie de Arlequin Prichippe.

« P. S. Le Dolgorouki dont je parle est celui qui a été ambassadeur en France et en Pologne. Je lui ai demandé s’il n’était pas honteux du métier qu’il faisait ici, et s’il convenait à un ministre du premier ordre de travailler par des voies obscures à séduire les peuples, que cela allait donner un beau lustre dans le monde à l’empire de Russie et à son ministère, s’il croyait en bonne foi que quelqu’un voulût traiter après cela avec eux, que la honte de l’artifice qu’ils avaient employé avec moi retomberait sur eux, puisqu’ils en avaient été la dupe. J’ai retranché beaucoup du journal, pour le rendre modeste, mais j’ai vu le moment que la nuit du 11 au 12 allait être bien chaude, La princesse a fait des choses admirables et a ordonné à ses gardes de se ranger de mon côté au premier coup donné de part ou d’autre. On rend son grand-maître responsable de tout ce qui s’est passé ici, et il fut emmené hier sans éclat à Saint-Pétersbourg, où on dit qu’il ne fera que passer pour aller en Sibérie. La princesse l’a devancé de quelques heures. Je ne sais si elle a fait bien ou mal ; on pourrait bien lui faire épouser une quille. »


Ce grand-maître d’Anna Ivanovna (je ne sais pourquoi Maurice lui donne ce titre) était le diplomate russe Bestuchef, que Menschikof en effet regardait comme un traître, et qui, mandé subitement à Saint-Pétersbourg, fut arrêté dès qu’il eut passé la frontière de Livonie. La situation n’était pourtant pas aussi mauvaise en Russie que Maurice paraissait le croire. Le chancelier et le maréchal de Courlande avaient écrit au roi de Pologne, leur protecteur naturel, pour se plaindre des violences du prince Menschikof. Le roi, dont les secrets désirs avaient été contrariés jusque-là par l’opposition des magnats polonais, saisit avidement l’occasion de défendre la cause de son fils, en ne paraissant élever la voix que pour l’honneur de sa couronne. Il chargea Lefort d’exprimer à l’impératrice l’étonnement que lui avaient causé les procédés du prince Menschikof et du prince Dolgorouki. Sans doute, la diète de Courlande avait eu tort d’élire un duc malgré sa défense expresse; mais de quel droit Menschikof avait-il paru en maître dans un pays soumis au protectorat de la Pologne? De quel droit était-il venu lui-même se porter candidat avec une escorte menaçante? Cette violation du territoire courlandais n’était-elle pas une atteinte à l’alliance des cours de Pologne et de Russie? Le roi espérait donc que les princes Menschikof et Dolgorouki avaient agi sans le consentement de l’impératrice, et il priait sa majesté « de désavouer authentiquement lesdits

  1. Bien que la pensée fût assez claire, Maurice a cru devoir l’illustrer par un dessin de sa façon. Il y a en cet endroit, sur l’original, un véritable pied de nez, image de l’état moral de Menschikof. Décidément nous avons là sous toutes les formes les gaîtés du jeune duc de Courlande.