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mença d’agir auprès des matadors, car il y eut une conférence entre Lefort et le ministre Ostermann au sujet du mariage de Maurice avec une des princesses russes; mais laquelle des deux? Grande perplexité! on les marchandait, ces nobles dames! Pour obtenir l’une ou l’autre, il faudra récompenser telle influence, écarter telle opposition. Celle-ci coûtera plus, celle-là moins. Fatigué de cette indécision qui a fait échouer la conférence, Lefort jette les yeux sur une fille de Menschikof, et voici les édifiantes révélations que nous apportent les archives de Dresde ; ce sont quelques lignes de l’ambassadeur saxon à Flemming : « La princesse Elisabeth est une place forte à emporter non impossible, car à l’aide du coffre-fort la place se rendra. La duchesse de Courlande coûtera, mais pas tant. Pour ces deux, l’on a en chef à gagner Menschikof, Tolstoï, Ostermann, et les gens de la cour. On juge ici que, si la princesse Elisabeth manque, on ferait mieux de s’attacher à la fille de Menschikof qu’à la duchesse de Courlande : elle aura des espèces, sera bien fournie, et l’on est d’opinion qu’en ce cas la tsarine soutiendra tout aussi bien le nouvel élu. »

Heureux Maurice ! les fils des chevaliers teutoniques bravent pour lui les tempêtes, deux princesses de la famille de Pierre le Grand soutiennent sa cause avec passion, et voilà les diplomates saxons, ses ennemis de la veille, qui se mettent en campagne pour lui acheter l’aristocratie moscovite! Parlons sérieusement : Maurice est supérieur aux diplomates qui le soutiennent et digne des gentilshommes qui ont mis en lui leur confiance. Au milieu de ces misérables intrigues, il est occupé des pensées les plus nobles. Singulier contraste qui achève bien ce tableau ! voici ce qu’il écrit de Mitau le 25 septembre 1726 au comte de Friesen :


« Mon cher comte, c’est quelque chose de bien singulier que le bonheur que j’ai de me rencontrer avec vous. J’en suis très flatté, et je m’applaudis toujours quand je me trouve avoir pensé comme vous. Je me suis proposé de tenir absolument la même conduite que vous me conseillez : des cadets pour avoir une pépinière d’officiers et pour soulager la noblesse, une milice employée à d’utiles usages, des écoles pour instruire, ma reconnaissance envers le pays, tout sera conforme à vos idées. Je me propose avec cela de vivre fort simplement; les domaines sont endettés et ruinés par la peste et par la guerre. Ce n’est pas qu’avec de l’industrie et de l’économie ils ne se remettent en peu d’années, et j’y emploierai toute mon attention; mais quelque sujet que puisse avoir mon application, je ne donnerai jamais dans le faste : j’ai toujours abhorré celui des petites cours, et en effet il me semble qu’il n’y a rien de plus ridicule que cette sotte grandeur qui attire la raillerie des petits et le mépris des grands. Beaucoup de fusils et de baïonnettes dans mes salles d’armes, et peu de kammer-junker[1] dans

  1. Chambellans.