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ses pièces, qui depuis trop longtemps ont disparu de la scène. A Drury Lane, le meilleur acteur de l’Angleterre et l’homme qui a le plus fait pour populariser le vieux drame anglais, M. Phelps, se chargeait, dans la première partie de Henri IV, si rarement jouée, du rôle de Falstaff; à Surrey, M. Anderson, un habile et heureux interprète de Shakspeare, ressuscitait un de ses drames les plus délaissés par les acteurs, la seconde partie de Henri VI. Au Théâtre-Olympique, la Méchante domptée, au Théâtre de la Princesse, la Comédie des Méprises, — cette dernière surtout, grâce à la ressemblance étonnante des deux frères Webb, — reparaissaient avec succès, ce qui n’empêchait pas des troupes connues et aimées d’offrir chaque jour au public le Marchand de Venise, la Douzième Nuit, le Songe d’une nuit d’été et Comme il vous plaira.

A voir parfois l’attitude des spectateurs dans ces différens théâtres, le peu d’empressement que mettait la société élégante à y paraître, et en certains cas l’absence de démonstrations extérieures de la part des assistans, on aurait pu croire que la fête en elle-même n’inspirait aux habitans de Londres qu’un médiocre enthousiasme; mais on se serait trompé en attachant trop d’importance à ces indices superficiels. La curiosité était générale, profonde, le sentiment de l’admiration très sincère et très vif. L’Angleterre a été réellement remuée tout entière par la pensée de rendre hommage à sa plus grande gloire littéraire ; elle s’est associée avec un admirable élan aux fêtes et aux souscriptions que lui demandait le comité national. Seulement à Londres on était fatigué d’enthousiasme; on venait d’en faire une telle dépense pour recevoir Garibaldi, qu’il en restait moins pour accueillir Shakspeare, et que d’ailleurs, aux yeux de ceux qui avaient vu les ovations du général, toute manifestation, quelque sympathique qu’elle fût, devait paraître froide. Un seul jour, le 23 avril, le sentiment public a éclaté brusquement, et ce n’est ni aux riches ni aux lettrés, c’est au peuple, c’est aux ouvriers de Londres que revient l’honneur d’avoir fait la plus imposante manifestation qui ait salué, en Angleterre, le jubilé shakspearien. De tous les points de la capitale, les workmen s’étaient donné rendez-vous à Primerose Hill, à l’extrémité et au-dessus de Regent’s Park, sur les pentes vertes qui s’étendent entre le parc et le sommet de la colline : vaste terrain où peuvent se rassembler des milliers de personnes. Le programme de la fête n’a pas été rigoureusement suivi; la procession annoncée dans certaines rues de Londres ne se composait que d’une poignée d’hommes; beaucoup d’ouvriers, retenus sans doute par leurs travaux ou par la distance, sont arrivés plus tard qu’ils ne l’avaient promis au lieu désigné. Comme du reste rien ne se fait officiellement en Angleterre, comme tout part de l’initiative individuelle, il ne faut pas s’étonner