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sance, engage pour 40 livres le domaine d’Asbies, lorsque la même année il reconnaît devoir à un boulanger 5 livres qu’il ne peut pas payer, le futur dramaturge, alors à l’école, probablement obligé d’interrompre ses études, ne songe pas à aller chercher fortune ailleurs, comme le faisaient un si grand nombre de ses jeunes compatriotes : il ne pense au contraire qu’à venir en aide à sa famille, sans se séparer d’elle; il s’associe au commerce paternel, il carde la laine des bestiaux, il en tue même peut-être, comme le rapporte une vieille tradition; puis il essaie divers métiers, il entre dans l’étude d’un attorney, il demande la place de sous-maître à l’école de grammaire, et il songe si peu à s’éloigner malgré la détresse des siens, il paraît si décidé à ne pas s’expatrier, qu’il resserre ses liens avec son pays natal en épousant la fille d’un cultivateur dont toute la fortune tient au sol et ne peut se transporter.

Plus tard, il est vrai, il part pour Londres, mais ce n’est qu’après avoir cherché inutilement tous les moyens de vivre à Stratford, après avoir vu sa famille humiliée, son père exclu de la compagnie des aldermen et emprisonné pour dettes, après s’être fait un ennemi mortel du juge de paix, et avoir compris l’impossibilité absolue de lutter contre tant d’obstacles. Il part du reste avec l’idée d’un prochain retour; il entend ne s’éloigner que pour peu de temps, il laisse à Stratford sa femme et ses trois enfans, comme pour y conserver un établissement permanent; il y retourne chaque année, et, quand ses profits d’auteur et d’acteur l’ont enrichi, le premier usage qu’il fait de sa fortune, c’est de payer les dettes de son père et de lui constituer une propriété de 500 livres; le second, c’est d’acheter pour 60 livres New Place, la plus belle maison de sa ville natale (1597). A partir de ce moment-là, il réside encore à Londres par nécessité; mais sa véritable installation, la résidence de son choix, est à Stratford. Dans tous les actes qui le concernent, on le désigne sous le nom de William Shakspeare, gentleman, de Stratford, et ces actes se multiplient, comme pour attester qu’il y demeure. En 1598, sa famille est indiquée, dans une liste générale des habitans, comme une de celles qui consomment le plus de blé. La même année, il vend à la municipalité une charge de pierres tirée de ses jardins. De plus, on le .voit travailler avec persévérance à agrandir sa fortune territoriale et saisir toutes les occasions d’acheter les propriétés disponibles. En mai 1602, il ajoute à New Place 107 acres de terre, une maison, des jardins et des vergers. En 1605, il fait des acquisitions plus importantes encore. En même temps il place de l’argent chez ses compatriotes, et quand ceux qui lui en doivent ne le paient point, ainsi que cela arrive en 1604 et en 1609, il les poursuit rigoureusement. En 1607, il marie sa fille aînée, l’enfant de son amour, cette Susanna, qui lui ressemblait