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mêmes sous sa plume, comme des réminiscences involontaires d’impressions anciennes et souvent renouvelées. Que de fois, par exemple, il a parlé des chênes, toujours avec admiration, souvent même avec émotion, comme si les chênes répondaient dans sa pensée à quelque souvenir où sa sensibilité fût intéressée! Les fleurs ordinaires des prés de Stratford, celles qu’on y cueille tous les jours, « les pâquerettes bigarrées et les violettes bleues, et. les cardamines toutes blanches d’argent, et les renoncules aux teintes jaunes qui peignent les prairies d’une couleur délicieuse » reparaissent dans ses peintures champêtres. C’est lui qui, sous le nom de Puck, cherche les primevères dans la campagne, lorsqu’il fait dire au génie favori d’Oberon : « Par-dessus la montagne, par-dessus la vallée, à travers les buissons, à travers les ronces, par-dessus les parcs, par-dessus les palissades, à travers l’eau, à travers le feu, j’erre partout plus rapide que l’orbe de la lune, et je sers la reine des fées, j’arrose les cercles qu’elle trace sur le gazon. Les primevères élancées sont ses pensionnaires ; dans leurs robes d’or, vous voyez des taches, ce sont des rubis, les couleurs des fées ; dans ces mouchetures, leur parfum vit encore; je dois chercher ici quelques gouttes de rosée et suspendre une perle à l’oreille de chaque primevère. » Voici maintenant les oiseaux que le poète a mille fois entendus et qui peuplent encore les vergers de sa ville natale : «le merle au plumage si noir avec son bec d’un jaune d’orange, la grive avec sa note si fidèle, le troglodyte avec sa petite huppe, le pinson, le moineau et l’alouette, le coucou gris au chant simple. » Voici un coin de paysage qu’on croit apercevoir, quand du milieu du petit pont, au-delà de l’église, on regarde le plus prochain tournant de l’Avon, C’est bien toujours a le bord où fleurit le thym sauvage, où la primevère et la violette inclinée poussent, le bord que recouvrent presque entièrement de leur dais le délicieux chèvrefeuille, la douce rose de Damas et l’églantier. »

Mais ce qui a surtout passé des impressions de Shakspeare dans ses vers, c’est le sentiment du bien-être que donne la campagne, c’est la joie d’y vivre, joie qu’il a poétiquement et fortement exprimée. Au fond de toutes ses pastorales, au fond de Comme il vous plaira, cette idylle de la forêt des Ardennes ou plutôt de la forêt d’Arden, voisine de Stratford, au fond du Songe d’une nuit d’été, au fond de l’épisode de Guiderius et d’Arviragus dans Cymbeline, on voit poindre les émotions d’une âme éprise de la nature, heureuse d’épancher ce qu’elle ressent en face des scènes rustiques, à laquelle la vie champêtre apporte le repos et le calme où elle aspire. Que dit le duc, dans Comme il vous plaira, à ceux qui l’ont suivi au milieu des bois? « Maintenant, mes compagnons et mes frères en exil, la vieille habitude n’a-t-elle pas fait cette vie plus