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une partie de leur cargaison, ils avaient établi d’autres dépôts aux Açores, à Malte, à Héligoland, où se trouvaient accumulées des masses énormes de marchandises, et où les contrebandiers allaient puiser la matière de leur trafic clandestin. »

Sanuto semblait avoir lu d’avance cette page de l’histoire de l’empire, quand il écrivait au XIVe siècle, prévoyant les effets que devait avoir son blocus continental : « Il faut interdire aux chrétiens d’acheter aucune des marchandises d’Égypte, car autrefois, quand il y avait prohibition de commerce entre quelques états européens et l’Egypte, comme cela est souvent arrivé, les contrebandiers portaient les marchandises de l’Egypte dans certaines îles, et c’était là qu’on allait les prendre, en y portant aussi les marchandises européennes[1]. » Ces îles devenaient des entrepôts comme ceux qu’avaient établis les Anglais en 1811.

Sanuto ne voulait pas qu’on se bornât à poursuivre la contrebande dans les entrepôts que ne manquerait pas d’établir le commerce égyptien, il demandait que son blocus continental fût aussi appliqué par ceux même des états européens ou voisins de l’Europe qui avaient avec l’Egypte d’anciens rapports de commerce et même de religion. Les états mahométans de l’Espagne et de l’Afrique septentrionale devaient être contraints à se priver de tout commerce avec l’Egypte. Même obligation devait être imposée aux états de l’Asie-Mineure, en remontant de la Syrie vers le nord jusqu’à Scutari, sur le Bosphore. « C’est de ce côté, dit Sanuto, que partent les bâtimens qui font le commerce avec l’Egypte et lui portent les denrées de l’Europe. » Sans cette contrainte, le blocus est illusoire. J’ose ajouter qu’avec cette contrainte il devient impossible, car il l’a été même pour l’homme à qui il a été donné de pouvoir le plus sur la terre, c’est-à-dire pour Napoléon. Il avait imposé à toute l’Europe, même à celle qui ne lui appartenait pas, l’obligation d’exécuter le blocus continental. La Suède, la Russie, la Prusse, tout le monde avait promis d’obéir ; mais, pour ces états, renoncer au commerce anglais, c’était renoncer, non pas à leur puissance, le sacrifice était fait, mais à la vie même de leurs sujets. « À cette époque, presque tous les peuples de la Baltique, riches en produits agricoles, en matières navales, telles que fers, bois, chanvres, goudrons, ne pouvaient se passer de l’Angleterre[2], » qui leur achetait leurs productions et les payait en denrées coloniales ou en marchandises anglaises. « Offensé de la domination que Napoléon prétendait exercer sur toutes les côtes du nord, depuis Amsterdam, Brème, Hambourg, jusqu’à Riga et même jusqu’à Saint-Pétersbourg, l’empe-

  1. Secreta fidelium Crucis, page 29.
  2. M. Thiers, Histoire de l’empire, tome XII, p. 52.