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de l’emphase américaine, est décidé à vaincre et a fait passer son âme dans ses soldats. On admire avec raison, au point de vue militaire, Lee et ses bandes d’intrépides gentlemen; mais ce ne sont pas non plus de médiocres soldats que ces Yankees, si dédaignés dans notre aristocratique Europe, qui se battent chaque jour pendant une semaine, toujours prêts à attaquer malgré les cruelles pertes qu’ils subissent, et malgré le désavantage des positions gagnant sans cesse du terrain sur un ennemi qui s’est fortifié d’avance dans les lignes qu’il a choisies. On n’ose rien prédire sur l’issue de cette sanglante campagne. Ce que nous constatons avec plaisir, c’est qu’à mesure que le dénoûment approche, les hommes du nord semblent davantage estimer leurs adversaires, et ont pour leurs merveilleuses qualités guerrières comme une sourde sympathie. Grant, malgré son laconisme stoïque, en recevant à son bivac le général confédéré Ned Johnstone, qui venait d’être pris par Hancock, aimait à lui rappeler qu’ils avaient autrefois servi dans la même brigade. Les correspondances de l’armée du nord recueillent avec une certaine attention marquée les traits qui peuvent rapprocher les adversaires dans une commune estime. Peut-être y a-t-il dans l’expression de ce sentiment de justice l’indice d’une réconciliation et d’un apaisement moins éloignés qu’on ne pense.

Ce bruit que fait la guerre depuis quelques années dans les préoccupations et l’imagination des peuples doit avoir de mystérieuses influences dont les signes extérieurs nous échappent. N’y a-t-il pas, en fait d’impressions et d’excitations belliqueuses, une sorte de contagion secrète qui se trahit çà et là par des effets inattendus? C’est ce que l’on se demande en voyant les insurrections renaître en Algérie et les agitations de la régence de Tunis. Ces populations musulmanes, ces fanatiques nomades que les chrétiens ne peuvent ni absorber ni s’assimiler, dont la longue patience est aussi surprenante que leurs subits réveils, ont entendu dire peut-être que l’Europe cette année serait la proie d’une grande guerre, et que le bon moment arrivait pour elles de se soulever. Les insurrections algériennes sont un embarras pour nous, elles ne peuvent être un grave souci. Personne ne doute qu’elles ne soient promptement réprimées; mais elles peuvent jeter un certain trouble dans nos finances et introduire dans nos budgets, pour nous servir du mot à la mode, de nouvelles rectifications. Il est impossible de faire allusion aux troubles algériens sans donner un regret sincère au maréchal Pélissier, à ce vieux soldat qui a uni son nom à une grande victoire française, et qui est mort avec la douleur de voir que cette soumission de l’Algérie, à laquelle il avait pris autrefois une part si active, n’est point encore une œuvre achevée.

La société parisienne est agitée en ce moment d’une émotion qui nous reporte au-delà de 1789. Depuis la mort du dernier duc de Montmorency, qui n’a point laissé d’héritiers directs, plusieurs prétendans plus ou moins proches alliés du duc ont aspiré à relever sur leurs personnes ce grand titre et ce grand nom. Ceux qui ont connu le dernier duc de Montmorency