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Si fidèle que soit resté Flandrin aux leçons et aux exemples du grand artiste dont il aurait osé à peine se croire le lieutenant, il ne l’a pas été moins à ses propres tendances. Avec quelque bonne foi qu’il se regardât jusqu’à la fin comme « l’œuvre » absolue de M. Ingres, il aurait eu le droit d’attribuer aux ressources de son imagination, à l’élévation naturelle de son sentiment, certains mérites tout personnels en effet, et que révèlent assez clairement tant de peintures murales et de toiles où l’inspiration est au niveau de la science. Bien plus, à l’époque où Hippolyte Flandrin en était encore à s’essayer sous les regards du maître, à chercher le progrès dans la docilité matérielle du travail, dans la plus scrupuleuse abnégation, quelque chose se trahissait malgré lui de ce fonds d’onction et de tendre mélancolie qui devait pleinement apparaître plus tard et s’épancher sans contrainte, en raison de la dignité morale des sujets. Pour le moment, il ne s’agissait de peindre que des études d’après le modèle vivant, de simples académies où l’imitation de la nature, dans le sens prescrit par M. Ingres, semblait la seule condition à remplir. C’était effectivement vers ce but que tendaient tous les efforts de Flandrin, et ce qui subsiste aujourd’hui des travaux appartenant aux premières années de sa jeunesse nous montre avec quelle attention et quelle exactitude il adaptait les préceptes qu’il avait entendus à la traduction des réalités qu’il voyait ; mais cela prouve aussi qu’il possédait d’autres dons qu’une rare faculté d’assimilation. S’il était le premier entre ses condisciples par l’habileté et la science acquise, il l’emportait également sur eux par la sérénité naturelle du style, par la grâce instinctive des intentions. Pour peu que l’on examine à l’École des Beaux-Arts le tableau qui lui mérita le prix de Rome, on y retrouvera la promesse certaine des œuvres et des succès qui ont suivi. Il n’y a pas d’exagération à dire, malgré la différence des sujets et des conditions pittoresques imposées à chaque tâche, que les qualités dont nous voyons l’épanouissement sur les murs de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Vincent-de-Paul sont au moins en germe dans cette scène païenne : Thésée reconnu par son père au milieu d’un festin.

S’il fallait donc, à cette époque de la vie de Flandrin, surprendre un contraste entre ce qu’il était et ce qu’il allait bientôt devenir, ce n’est pas dans une opposition de ses œuvres les unes aux autres qu’il conviendrait de le chercher. En rapprochant au contraire des essais et des premiers succès du jeune peintre le souvenir des âpres difficultés matérielles, des circonstances tantôt inquiétantes, tantôt cruelles, au milieu desquelles ils se sont produits, on s’étonnerait à bon droit de la vitalité croissante, de l’énergie sereine de ce talent, en regard des privations et des souffrances qui auraient pu en dé-