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sont point trouvés en contact : aussi possèdent-ils une homogénéité remarquable, et il y a plaisir à constater, dans ces patois de formation déjà fort ancienne, l’unité des origines, qui constitue pour les langues le meilleur titre de noblesse. Si l’on remonte de ces plaines chaudes et riantes vers les montagnes des provinces limitrophes, on s’aperçoit bien vite que la vivacité de l’accentuation et la sonorité vont en s’altérant : si on rétrograde jusque dans l’épais massif habité par les descendans des Arvernes, le contraste est plus frappant encore : le patois de ces hautes et froides régions devient terne comme les rochers nus balayés par les vents, âpre comme les sentiers qui conduisent aux pics neigeux. Évidemment les peuples cantonnés dans les montagnes de l’Auvergne n’appartiennent pas à la même famille que les Provençaux et les Languedociens. Leur patois n’est guère autre chose que du vieux français haché, prononcé d’une façon inintelligente. Ils se sont fait une langue en défigurant celle qui se parle autour d’eux, comme les pâtres se construisent des cabanes avec les débris d’un monument en ruine. À cette forte race toujours en lutte contre la nature ne demandez ni l’inspiration poétique ni un accent harmonieux. Il y a des travaux pénibles qui ne s’exécutent point en chantant; tels sont ceux du montagnard qui défriche un sol maigre aux flancs des rochers. C’est donc à la rudesse d’une contrée pierreuse, coupée de ravins profonds, qu’il faut attribuer cette prononciation étrange particulière aux habitans de l’Auvergne. Le même fait se remarque dans d’autres pays : le patois catalan se distingue aussi par son manque de sonorité, plus sensible encore dans la péninsule ibérique, et si nous tournons nos regards vers la presqu’île indienne, nous y trouvons le dialecte des Mahrattes de l’ouest, établis sur la chaîne des Gathes, dialecte singulier où le sanskrit, alourdi et altéré comme le français l’a été dans les montagnes de l’Auvergne, présente le même abus des consonnes doubles ch, st, djna, si désagréables à l’oreille. Au reste, en Europe comme en Asie, les chaînes de montagnes ont servi de refuge à des populations anciennes, chassées des plaines par des invasions. Ces populations devenues défiantes, reléguées dans des contrées d’un difficile accès, sont demeurées longtemps étrangères au progrès que la civilisation des conquérans faisait autour d’elles, et quand elles vinrent plus tard s’y associer, le pli était pris : elles s’étaient inoculé une prononciation vicieuse qui ne pouvait plus se corriger. Ainsi les Arvernes résistaient encore à l’invasion romaine, quand elle avait subjugué les provinces méridionales de la France. Sans doute, à cette époque reculée, les montagnards parlaient une langue à eux, un dialecte kimri ou celtique; mais ce langage ancien, dont on retrouve des traces dans