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d’apparence barbare et franchement gaulois, représentent le moment où la langue latine, brisée, mutilée, va pousser une nouvelle tige, à la manière d’un arbre coupé pour recevoir la greffe.

Ce fut donc dans les provinces limitrophes, les unes habitées par des peuples de même race, les autres occupées par des peuples d’origine différente, mais toutes plus ou moins marquées de l’empreinte latine, que s’élabora le fond de la langue française. Ces élémens divers, se combinant avec lenteur, finirent par former l’idiome national, qui eut son point d’appui, comme la France elle-même, dans la petite province dont Lutèce était la capitale. Tant que notre langue fut romane, tant qu’elle végéta humblement dans l’Ile-de-France, elle vécut isolée, ainsi que les dialectes des autres provinces; mais quand Paris devint le siège d’un grand royaume, elle s’accrut, s’enrichit et se perfectionna. La fréquentation des provinciaux qui affluaient dans la capitale y introduisit des façons de parler autres que celles employées jusqu’alors par les habitans du pays. D’ailleurs la plupart des chroniqueurs et des rimeurs des premiers temps étaient nés loin de Paris, et leurs œuvres, qui abondent en expressions locales, n’en sont pas moins classées parmi les productions de la littérature française. C’est à ce point de vue qu’il importe de se placer lorsque l’on parle de l’influence des patois sur la langue : celle-ci suivit la fortune des princes qui gouvernaient la France. Un jour elle régna, au moins comme langue officielle, sur toutes les provinces soumises à nos rois, et les dialectes provinciaux qui lui avaient prêté leur concours tombèrent à l’état de patois. Devant le français, leur frère, ils s’inclinèrent, comme les gerbes des enfans de Jacob devant celle de Joseph. Il faut bien qu’il y ait en tout pays une province, et dans cette province une ville dont le langage fasse loi, et cette ville ne peut être autre que la capitale, centre intellectuel et administratif où tout converge et d’où tout rayonne au dehors. Les habitans de telle ou telle ville peuvent, si bon leur semble, se vanter d’avoir une prononciation meilleure que celle de la capitale, mais personne ne le croira. La capitale est l’expression intime du génie national, elle jouit même du singulier privilège d’imposer à la province ses locutions vulgaires, ses façons de dire incorrectes ou vicieuses. Que voulez-vous? ces idiotismes parisiens, — quelquefois reproduits par des écrivains populaires, — constituent peut-être un jargon; mais le jargon est une monnaie courante qu’il ne faut pas confondre avec des expressions surannées, dont l’usage est limité à quelque coin de province. Celles-ci n’ont plus chance de renaître; celui-là au contraire court risque de réussir, et nous en voyons chaque jour des exemples.

Nous n’avons point à nous occuper ici du basque et du breton.