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devant l’acheteur qui le désire. Que d’horloges confectionnées par eux portent des noms étrangers au Jura! Dans cette concession à une exigence commerciale, il ne se trouve du reste aucune tromperie susceptible, en dernière analyse, de porter préjudice à personne. L’art de vendre est le complément indispensable de l’art de fabriquer : si l’on ne veut être bientôt distancé par ses concurrens, il faut se montrer aussi infatigable dans la recherche de ses débouchés que dans le perfectionnement de ses produits.

Entre ces deux élémens de la réussite, point de séparation à Morez : la double impulsion procède des fabricans. Que l’ouvrier soit bien placé pour saisir les inconvéniens d’un procédé ou les défauts d’un outil, et, s’il est doué d’un talent inventif, pour imaginer d’heureuses modifications, cela est évident. Seulement la recherche constante, les études systématiques sortent trop du cadre habituel où se meut l’ouvrier pour que son action puisse tenir lieu de l’intervention directe du fabricant. Voilà pourquoi le système généralement suivi à Morez me paraît valoir mieux que celui de Saint-Claude pour les progrès de la fabrication. Tout en se rapportant au régime du travail, ce trait-là suffit pour faire présager dans l’ordre des mœurs et des caractères plus d’un signe distinctif entre les deux groupes principaux de ces contrées.


II.

Dans les milieux qui se distinguent, comme la région industrielle du Jura, par des conditions toutes spéciales, par leur isolement, par leur passé, par l’espèce d’oubli où les a longtemps laissés l’attention publique, l’étude des caractères, des mœurs, de la vie quotidienne des populations offre plus qu’ailleurs l’attrait de l’imprévu. Partout du reste, dans le spectacle plus ou moins magnifique des moyens d’action de l’industrie et de ses œuvres, c’est toujours vers l’homme lui-même que remonte en définitive la curiosité de l’esprit. Sa présence seule prête une âme à toutes choses. Là où il n’est pas, l’idée de son absence reste encore la vraie source de l’intérêt. Dans les montagnes de Morez et de Saint-Claude, où la population est si vivante et si active, les côtés par où elle semble appeler le plus les regards ne se rapportent pas à la question de race. Le type ne varie tout au plus que sur un ou deux points, dans les environs de Saint-Claude, où l’on peut retrouver la trace de l’ancienne domination étrangère et reconnaître quelques vestiges du sang espagnol. Partout la rudesse du climat, — qu’augmente encore la direction septentrionale des principales trouées de la chaîne jurassienne, — communique au tempérament local quelque chose de sec