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que, ce n’était nullement de voir les œuvres de l’antiquité telles qu’elles étaient venues jusqu’à nous: c’était de montrer des œuvres belles, que rien ne déparât. Quand un goût plus exercé s’introduisit dans l’étude de l’art ancien, on se hâta d’enlever ces additions malencontreuses. On a fait de même pour les textes. Grâce aux facilités qu’offrent maintenant les grandes collections de manuscrits centralisées dans les capitales, on a institué un vaste travail de collation; au moyen de règles sûres, on est remonté au plus ancien texte qu’il soit possible d’atteindre; on a fait justice des corrections maladroites des éditeurs modernes. Or voici ce qu’il y a de bien remarquable. Le département des manuscrits de la Bibliothèque impériale est la plus précieuse collection que l’on possède pour les textes de l’antiquité latine. Sont-ce les professeurs de l’Université de France qui ont fait usage de tels trésors? Nullement. Ce sont des colonies d’Allemands et de Hollandais qui ont exploité ce vaste dépôt et en ont cueilli tout le fruit. Des collections de classiques, où rien n’était épargné sous le rapport de la typographie, se sont faites en France, sans qu’on se soit avisé d’aller rue Richelieu chercher les moyens d’améliorer les textes. Ce travail même, exécuté par l’Allemagne et la Hollande avec une si rare patience, l’école universitaire l’a presque vu de mauvais œil. Il a été de règle de dire que les Allemands « changent les textes, » quand en réalité ils ne font qu’essayer de les retrouver. Autant vaudrait prétendre qu’on change un beau tableau de maître en le dégageant de mauvais repeints. La routine du reste est toujours la même. Quand l’Aristote grec, l’Aristote véritable parut, il eut une longue lutte à soutenir contre l’Aristote apocryphe des universités. Les professeurs se plaignirent; habitués à s’en tenir à des cahiers d’écoles qui n’avaient pas cent ans et qui étaient en possession de présenter les vraies doctrines du philosophe, ils traitèrent celui-ci en intrus lorsqu’il osa se présenter avec le texte authentique de ses ouvrages. Combien de maîtres, s’ils revenaient, seraient ainsi fort mal reçus de ceux qui prétendent enseigner en leur nom !

Je sais que de nombreuses restrictions seraient ici nécessaires; mieux que personne j’ai pu apprécier ce que valent quelques-uns de nos maîtres, et je déclare bien haut qu’il n’est pas une seule des assertions précédentes qui ne fût fausse, si on la prenait dans un sens absolu; mais presque tous les vrais savans que compte dans son sein le corps enseignant seront eux-mêmes, j’imagine, d’accord avec moi pour regretter de voir la direction qu’ils représentent si peu suivie. L’enseignement de nos facultés des lettres, dans son ensemble, est moins celui de la science moderne que celui des rhéteurs du IVe ou du Ve siècle, et souvent je me figure que, si les