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personnes qui avaient fui devant les rebelles, et réussirent à fournir les vingt mille bols de riz nécessaires chaque jour pour la nourriture de ces malheureux. C’est aussi à un missionnaire, le père Willaume, que l’on dut l’unique tentative que les paysans aient osé faire seuls contre les rebelles. Si cet exemple eût été suivi, c’était le salut de la province. Le père Willaume desservait une petite chapelle sur la rive droite du Whampoa; il réunit ses fidèles, anima leur courage, et éveilla dans leurs cœurs timides la volonté de défendre leurs foyers. Une trentaine de Manillois bien armés se joignirent à cette petite milice, que vinrent bientôt rejoindre des habitans des villages voisins. Ce corps, formé à la hâte, fit merveilles; à deux reprises il repoussa un ennemi dont les bandes nombreuses n’avaient pas encore rencontré de résistance. L’excès d’enthousiasme que donnèrent aux chrétiens ces premiers succès fut la cause de leur perte. Ils voulurent à leur tour prendre l’offensive, marchèrent sur une ville voisine et se firent écraser. Les Taï-pings, en les poursuivant, arrivèrent jusqu’à l’église et massacrèrent le père Willaume. Le lendemain, la rivière était couverte de barques fugitives, le cadavre du jésuite était apporté à la mission, et l’incendie éclairait de ses lueurs sinistres la pauvre chrétienté.

Nous avons déjà dit, en parlant de la formation du contingent franco-chinois à Ning-po, que la plus grande des îles Chusan avait dû sa délivrance à l’évêque du Tche-kiang, Mgr Delaplace. Cette île servait de refuge à une foula de familles et à un grand nombre de mandarins qui avaient fui le danger. Lorsqu’on apprit que les Taï-pings s’étaient emparés de Ning-po, les habitans de l’île s’empressèrent de faire leur soumission, et offrirent aux chefs rebelles 480,000 francs, que ceux-ci acceptèrent en leur promettant de les laisser en repos. Quelle ne fut pas la douleur des Chusanais lorsqu’ils apprirent, quelques mois plus tard, qu’une armée marchait contre eux ! Ils étaient prêts à courber la tête sous la fatalité et à subir les terribles conséquences d’une invasion; mais Mgr Delaplace conseilla la résistance et l’organisa avec une merveilleuse activité. Tous les habitans, peuple et notables, exaltés par ses paroles, se levèrent en masse. Les fonds nécessaires pour subvenir aux préparatifs de défense furent bientôt trouvés : ceux qui n’avaient pas d’argent offraient leurs bijoux de famille, d’autres leurs propriétés. Un millier de soldats, seul débris de l’armée du Tche-kiang, furent postés sur les remparts. « Vous mangez tranquillement votre riz, leur dit-on, maintenant qu’il faut se battre; vous vous battrez, ou vous serez massacrés. » Les rebelles se présentèrent devant les portes; un feu meurtrier les accueillit, ils se trouvèrent en un seul jour si maltraités qu’il leur fallut demander des renforts à Ning-po;