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et dans leurs biens. Or il n’existe guère de famille d’une certaine importance dont tous les membres habitent la même province, et qui n’aient quelqu’une de leurs branches dans les provinces voisines. Placés sous le coup de cette loi impitoyable, les habitans de la province occupée auraient émigré peu à peu pour ne pas laisser leurs proches subir les colères des agens du gouvernement impérial, et le vide se serait fait autour de nous. C’est la tactique dont se servirent les mandarins dans les premiers temps de l’occupation de Canton : en peu de jours, ils eurent frappé de mort non-seulement Canton, mais encore Hong-kong et Macao, quoique des garnisons européennes abritassent les Chinois contre toute action directe de leurs autorités. Il n’y a, pour avoir raison d’un tel état de choses, d’autre moyen que de reculer successivement les frontières du territoire conquis. C’est ce que les Anglais ont fait dans les Indes et les Russes dans la Mantchourie, c’est ce que nous pourrions faire en Cochinchine, si une politique semblable à celle du Céleste-Empire venait causer aussi l’émigration des habitans; mais ce qui est possible dans un pays où une seule nation a porté ses armes devient impraticable là où plusieurs nations réunissent leurs intérêts politiques et commerciaux : on n’aurait pu souffrir de tels empiétemens de notre part, et nous aurions été réduits à nous consumer en vains efforts sur un sol stérilisé.

Vouloir conquérir en Chine serait donc une faute; mettre à profit par le commerce les produits de cet immense empire, voilà surtout le but que doivent se proposer tous les Occidentaux. Sur aucun autre point du globe, la culture n’est aussi avancée; les matières à manufacturer s’y produisent en abondance, et l’esprit mercantile est si développé chez les trafiquans chinois, qu’en leur ouvrant des marchés nombreux et bien placés on est sûr de les y voir offrir toutes les marchandises dont ils peuvent disposer. Il appartient aux négocians français de faire d’énergiques efforts pour entrer en lutte avec leurs rivaux; il appartient au gouvernement de faciliter leurs opérations et de les protéger. Il les protège déjà par les consuls dont le nombre et l’importance ne peuvent manquer de s’accroître bientôt; il les protégera non moins efficacement en provoquant et en soutenant l’introduction de simples particuliers au cœur même des institutions civiles et militaires de la Chine. Les Chinois en effet, qui montrent de la répugnance à agir sous l’impulsion d’agens officiels des puissances européennes, ne font pas difficulté de confier leurs intérêts à des étrangers, lorsqu’ils ne voient pas au-dessus d’eux la main d’un gouvernement. C’est à un simple particulier anglais, M. Lay, qu’ils se sont adressés pour établir dans leurs ports un inspectorat étranger des douanes qui en a triplé les revenus.