la chaîne de l’autorité, brisée en un jour de surprise, au milieu de l’inquiétude de toutes les intelligences et de tous les intérêts ; quand ils trouvent debout des lois qu’ils n’auront pas à changer, et qu’il leur suffira de plier par des modifications plus ou moins profondes aux exigences du moment, sauf à leur rendre plus tard leurs développemens antérieurs sous le nom de couronnement de l’édifice ; quand ils arrivent entourés d’une armée de la veille, nombreuse, disciplinée, instruite, commandée par des officiers dont la plupart ont vu le feu et illustré leurs noms dans un grand nombre d’actions militaires non moins glorieuses que les combats de géans qui avaient précédé et les grandes batailles qui devaient un peu plus tard faire vibrer la fibre patriotique de tous les cœurs français ; alors, dis-je, tout est plus facile. L’habile et heureux pilote qui a saisi le gouvernail n’a qu’à laisser le vaisseau de l’état descendre tranquillement le courant du fleuve, attentil seulement à éviter les quelques écueils qu’offrent toujours aux navigateurs les rivages les plus hospitaliers. Seul, il peut suffire à tout, même avec le concours d’un équipage inexpérimenté, et surmonter le rares difficultés qu’il rencontre sur des eaux paisibles et fatiguées qui ne veulent plus de tempêtes.
Telle n’a pas été la condition du gouvernement né en 1830, non du soulèvement de la société contre la licence et l’anarchie, mais de la réaction populaire contre les excès de l’autorité souveraine.
Lorsque le duc d’Orléans fut porté au trône par l’irrésistible effet de cette réaction contre un coup d’état qu’il s’était efforcé de prévenir par de sages conseils, la monarchie nouvelle était fatalement destinée non à descendre le courant d’un fleuve sans orage, mais à remonter un torrent qui avait rompu ses digues naturelles, et à naviguer incessamment entre le double écueil des tentatives du parti vaincu et des aspirations téméraires du parti vainqueur. De plus, la France se trouvait placée en face de l’Europe inquiète ou hostile, car l’Europe comprenait que l’avènement du gouvernement nouveau était en même temps une protestation solennelle et nationale contre les traités de 1815.
L’Europe ne pouvait s’y tromper. En effet, les populations des départemens envahis qui avaient vu passer en triomphateurs les drapeaux de l’étranger, les vieux soldats, débris glorieux, Homères improvisés de l’épopée impériale, qui remplissaient les chaumières des images et des récits de leurs victoires, la jeunesse de 1830, nourrie des larmes qu’elle avait vu verser en 1815, et héritière du désespoir patriotique de ses pères accablés sous le nombre, c’est-à-dire la grande majorité de la nation française, confondaient injustement, mais de fait, dans une complicité commune le gouvernement de la restauration et le drapeau de l’étranger. Ainsi l’Europe, hostile à la nouvelle révolution de la France, trouvait en face d’elle la France réagissant contre l’Europe. Au milieu de ces graves difficultés à la fois morales et politiques, le gouvernement