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honneur aussi, après avoir été les seuls à protester publiquement contre les utopies du socialisme et à en signaler les dangers, d’être encore les seuls qui, dans le domaine de la science, continuent à agiter le vaste problème du travail. Grâce à eux, le courage revient aux plus timides, de nouvelles questions ont été mises à l’étude, et parmi les anciennes on essaie de reprendre celles que la violence n’avait pas permis de résoudre. C’est sous l’empire de ces préoccupations que l’Académie des sciences morales et politiques mettait au concours pour 1863 l’examen des moyens de crédit dans leurs rapports avec le travail et le bien-être des classes peu aisées. Le mémoire couronné à cette occasion signale les associations ouvrières comme un des plus énergiques leviers dont les travailleurs puissent faire usage pour s’élever jusqu’au bien-être, et cite les résultats produits par ces institutions en Angleterre et en Allemagne.

Les associations ouvrières se présentent sous trois formes principales, bien qu’on puisse en imaginer beaucoup d’autres : ce sont les associations de crédit, les associations de consommation, et les associations pour la production en commun. Ces dernières sont incontestablement les plus difficiles à constituer. En 1848, après qu’une triste expérience eut désabusé les ouvriers des décevantes illusions que leur avait fait concevoir la proclamation du droit au travail, beaucoup d’entre eux, conservant les préjugés anti-économiques dont on les avait nourris, s’imaginèrent que l’association leur permettrait de s’affranchir de la tyrannie du capitaliste et de l’entrepreneur, et d’accroître d’autant leurs salaires. C’était là une illusion dont ils ne tardèrent pas à être désabusés, car des 300 associations qui se formèrent à cette époque, et dont ils reçurent de l’état une subvention s’élevant à 890,000 fr., il n’en reste plus aujourd’hui qu’une vingtaine. La cause de cet insuccès tient moins aux circonstances politiques qu’aux conditions dans lesquelles ces associations s’étaient constituées. L’objet même qu’elles avaient en vue, se passer du capital, devait être pour elles un germe de mort. Si théoriquement les associations ouvrières en participation de bénéfices ne sont pas impossibles, elles rencontrent dans la pratique des difficultés que peuvent surmonter seulement des ouvriers d’élite. Dans les entreprises ordinaires, la vigilance, l’activité, la prévoyance, ne sont nécessaires qu’au maître ; dans les associations, elles le deviennent aux ouvriers eux-mêmes. Il leur faut de plus une confiance dans ceux qu’ils se sont donnés pour chefs et un respect des droits d’autrui qui font encore trop souvent défaut aux ouvriers français. Naturellement frondeurs et défians, ils supportent difficilement l’autorité de leurs pairs et manquent trop souvent du calme nécessaire pour débattre leurs intérêts communs ; leur éducation est encore à faire sous ce rapport. Une autre difficulté est celle de la gérance. C’est là une fonction qui réclame des hommes intelligens et actifs, qualités assez rares pour permettre à ceux qui les possèdent de se montrer exigeans. Le plus souvent ceux qui se recommandaient par leur honnêteté quittaient l’association quand ils trouvaient ailleurs une position plus