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empoisonneur. » Espérons que tous ces efforts porteront leurs fruits, et que bientôt nous n’aurons plus rien à envier, sous le rapport du crédit populaire, à l’Allemagne ni à aucun autre pays.


J. CLAVE.


ESSAIS ET NOTICES.

LA SCIENCE DU LANGAGE, par M. Max Müller, traduit de l’anglais par MM. George Harris et George Perrot[1].

Ce livre, avant de nous arriver, a déjà obtenu ailleurs une brillante fortune. On l’a traduit en allemand et en italien, et en trois ans il est parvenu en Angleterre à sa quatrième édition. Ce succès, si rare pour un ouvrage sérieux, a encouragé MM. Harris et Perrot à le faire connaître à la France. Ils ont espéré que notre public ne lui ferait pas un accueil moins favorable que celui qu’il a reçu dans le reste de l’Europe, et je ne crois pas qu’ils se soient trompés. C’est qu’en effet le sujet qu’il traite est de ceux qui intéressent nécessairement tout le monde. Par un privilège heureux, quoiqu’il soit du domaine de la science pure, il éveille la curiosité des gens que la science touche le moins. S’il nous paraît naturel qu’un ouvrier veuille connaître l’instrument qu’il ne manie qu’à certains momens de la journée, comment pourrions-nous être surpris que chacun cherche à se rendre compte des procédés du langage, qui est l’instrument de la pensée, et dont nous nous servons tous à toutes les heures du jour ?

Aussi voit-on que, dans tous les temps, les esprits curieux se sont semis ; attirés vers cette attrayante étude. « La science du langage, dit M. Max Müller, est de date récente. » Cela est vrai assurément, si l’on veut parler d’une science régulière, qui procède par des analyses exactes, tient à connaître tous les faits avant d’en rien conclure, et cherche à s’appuyer sur des principes inébranlables. Ainsi entendue, elle ne remonte pas au-delà de notre siècle, et nous l’avons presque vue naître ; mais, bien longtemps avant, elle avait été l’objet de spéculations hardies. Les philosophes grecs, les stoïciens surtout, ces logiciens raffinés qui avaient besoin de bien connaître la valeur des termes pour leur dialectique subtile, avaient étudié le mécanisme du langage et essayé d’en deviner l’origine. Si, malgré une prodigieuse dépense d’imagination, ils ne sont arrivés à produire sur ces questions délicates que des systèmes douteux, c’est que là, comme ailleurs, leurs généralisations téméraires n’avaient pas été précédées par une étude, assez patiente des faits. Et non-seulement leurs observations étaient incomplètes, mais, comme ils ne connaissaient qu’une seule langue, ils étaient sans cesse exposés à ériger en lois générales de l’esprit les procédés particuliers

  1. Un vol. in-8o, Auguste Durand.