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depuis deux ans[1]. Le soin d’écrire ce discours avait été confié, il est vrai, à un.des hommes qui ; ont le plus fait pour propager dans notre pays le culte de l’histoire. C’est M. Amédée Thierry qui a été chargé de cette tache, et il l’a remplie avec la sévère conscience qu’apporte dans tous ses travaux l’historien de la Gaule romaine. Il a tout d’abord introduit dans cet examen un ordre qui lui permettait de mieux saisir, à travers les diversités locales, les traits généraux des groupes savans dont il s’agissait, d’exposer les recherches. Au lieu de procéder à sa revue département par département, il a pris pour unité comparative l’ancienne province. Il a pu ainsi montrer l’esprit historique vivifié par la tradition, et s’exerçant dans chaque partie de la France sur un rayon plus vaste que la simple unité administrative, le département. Ce que l’histoire gagne à se retremper ainsi dans les souvenirs provinciaux. les nombreux ouvrages cités et appréciés par M. Thierry le font clairement ressortir. Là où ces souvenirs sont plus vivaces, là aussi les publications sont plus importantes et les sociétés savantes plus nombreuses. Il suffit de citer la Normandie, qui ne renferme pas moins de vingt et une de ces sociétés, dont douze appartiennent au Calvados seulement. L’exemple d’un pays voisin est là au reste pour nous montrer que ce culte des traditions, concilié avec l’esprit du temps, n’est pas seulement une force historique, mais une force politique. L’auteur même du discours sur nos sociétés savantes en a pu faire la remarque dans un récent voyage en Angleterre, où l’appelait une distinction des plus flatteuses. Nommé doctor of civil law à Oxford, M. Amédée Thierry a vu de près, dans cette antique université, au milieu de coutumes vénérables, se perpétuer et se développer une curiosité féconde et salutaire, et la libre critique s’associer sans effort au culte de la règle. La France en est-elle arrivée à cette heureuse alliance, et n’a-t-elle pas encore beaucoup à faire pour s’y élever ? Ce qui ressort à ce sujet du discours de M. Thierry, c’est que du moins l’indifférence à l’endroit du passé n’y est pas aussi complète qu’on l’a prétendu souvent, et que, si le goût des recherches patientes continue de s’y développer comme il le constate, il y aura là quelque jour un solide contre-poids pour les témérités de l’esprit d’innovation. On sera bien près alors de cet équilibre dont s’enorgueillissent à bon droit nos voisins. Pour qu’on y arrive, il suffit que les sociétés savantes, gardiennes de ces traditions sévères, comprennent de plus en plus leur rôle élevé, et qu’elles cherchent à mériter ces paroles d’encouragement qui nous ont frappé à la dernière page de l’éloquent discours de M. Amédée Thierry : « On ne vous impose plus l’histoire ; c’est vous qui, par la masse de vos travaux, finirez par nous l’imposer en la reconstruisant de la circonférence au centre. »


V. DE MARS.

  1. Discours de M. Amédée Thierry, tenu à la Sorbonne lors de la réunion annuelle des sociétés savantes le 2 avril 1864. — Librairie de Paul Dupont, Paris 1864.