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a été le plus hardi des réformateurs, et Catinat, dans ses méditations silencieuses, avait prédit la révolution[1]. Sans être un réformateur à la Vauban, sans avoir en aucune manière la prévoyance de Catinat, Maurice a ses projets socialistes, projets étranges, où se reconnaît beaucoup moins un bienfaiteur de l’humanité qu’un chercheur d’empires, un fondateur de peuples. C’est alors qu’il écrit ces lignes : « Après avoir traité d’un art qui nous instruit avec méthode à la destruction du genre humain, je vais tâcher de faire connaître les moyens auxquels on pourrait avoir recours pour en faciliter la propagation. Il n’y a sorte de choses dont on ne s’avise lorsqu’on n’a rien à faire : on réfléchit sur les plus élevées ainsi que sur les moindres. La diminution extraordinaire dans le monde depuis Jules César a souvent attiré mon attention. Il est certain que les peuples innombrables qui habitaient l’Asie, la Grèce, la Scythie, la Germanie, les Gaules, l’Italie et l’Afrique, ont disparu à mesure que la religion chrétienne s’est étendue en Europe et la mahométane dans les autres parties du monde. Cette diminution va toujours en augmentant. Il y a environ soixante ans que M. de Vauban fit le dénombrement des habitans de la France ; il en trouva vingt millions. Il s’en faut bien que ce nombre y soit à présent. »

Maurice commet ici de singulières erreurs ; c’est l’esclavage qui avait dépeuplé le monde, et c’est le christianisme qui l’a régénéré. Si les vingt millions de Français comptés par Vauban ne se retrouvaient plus en 1732, est-ce donc à la sévérité chrétienne du XVIIIe siècle qu’il faut attribuer cette déchéance ? Privilèges des castes, iniquité des lois, corruption des mœurs, voilà, sous des formes qui varient suivant les époques, les causes constantes du dépeuplement des états. Or, en se trompant ainsi sur le principe du mal, Maurice devait se tromper bien plus gravement encore sur le remède. Le christianisme et le mahométisme, suivant ce réformateur, contribuent également à paralyser le rôle social de la compagne de l’homme, l’un en prononçant l’indissolubilité du mariage, l’autre en permettant la pluralité des femmes. « Il faudrait, dit-il, établir par les lois qu’aucun mariage à l’avenir ne se ferait que pour cinq années, et qu’il ne pourrait se renouveler sans dispense, s’il n’était né aucun enfant pendant ce temps. » Il ajoute, il est vrai, que les époux dont l’union aurait été féconde et renouvelée trois fois de suite seraient désormais inséparables. Après quoi il s’écrie intrépidement : « Tous les théologiens du monde ne sauraient prouver

  1. C’est Saint-Simon qui nous a révélé ces pensées de Catinat : « Il voyait tous les signes de destruction, et il disait qu’il n’y avait qu’un comble très dangereux de désordre qui pût enfin rappeler l’ordre dans ce royaume, » Mémoires de Saint-Simon, chapitre 321.