qu’on prétend réduire le surnaturel à néant et le bannir du monde et de l’homme.
J’honore infiniment la science, et je la veux libre autant qu’honorée ; mais je la voudrais aussi un peu plus difficile avec elle-même, moins exclusivement préoccupée de ses travaux spéciaux et de ses succès du moment, plus attentive à n’oublier et à n’omettre aucune des idées, aucun des faits qui se rattachent aux questions qu’elle traite, et dont elle doit tenir compte dans les solutions qu’elle en donne.
Quel que semble le vent du jour, c’est une rude entreprise que l’abolition du surnaturel, car la croyance au surnaturel est un fait naturel, primitif, universel, permanent dans la vie et l’histoire du genre humain. On peut interroger le genre humain en tous temps, en tous lieux, dans tous les états de la société, à tous les degrés de la civilisation ; on le trouvera toujours et partout croyant spontanément à des faits, à des causes en dehors de ce monde sensible, de cette mécanique vivante qu’on appelle la nature. On a eu beau étendre, expliquer, magnifier la nature : l’instinct de l’homme, l’instinct des masses humaines ne s’y est jamais enfermé ; il a toujours cherché et vu quelque chose au-delà.
C’est cette croyance instinctive et jusqu’ici indestructible de l’humanité que l’on qualifie de radicale erreur ; c’est ce fait général et constant dans l’histoire humaine qu’on entreprend d’abolir. On va bien plus loin : on dit que ce fait est déjà aboli, que le peuple ne croit plus au surnaturel et qu’on essaierait vainement de l’y ramener. Incroyable fatuité humaine ! Parce que, dans un coin du monde, dans un jour des siècles, on a fait, dans les sciences naturelles et historiques, de brillans progrès, parce qu’on a, au nom de ces sciences, combattu le surnaturel dans de brillans livres, on le proclame vaincu, aboli ! Et ce n’est pas seulement au nom des savans, c’est au nom du peuple qu’on prononce cet arrêt ! Vous avez donc complètement oublié, ou vous n’avez jamais compris l’humanité et son histoire ! Vous ignorez donc absolument ce que c’est que le peuple, ce que sont tous ces peuples qui couvrent la face de la terre ! Vous n’avez donc jamais pénétré dans ces millions d’âmes où la croyance au surnaturel est et demeure présente et active, même quand les paroles qui passent sur leurs lèvres semblent la désavouer ! Vous ne savez donc pas quelle distance immense existe entre le fond et la surface de ces âmes, entre les souffles changeans qui agitent l’esprit des hommes et les instincts immuables qui président à leur vie ! Il est vrai, il y a de nos jours, dans le peuple, bien des pères, des mères, des enfans qui se croient incrédules et se moquent fièrement des miracles : suivez-les dans l’intimité de leur demeure,