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a bien plus largement révélé ses charmes. L’ordre est né du sein de la confusion, et dans l’édifice bien constaté de l’univers, la philosophie trouve maintenant une grandeur et une sublimité qui surpassent tout ce qu’elle avait jamais conçu dans ses jours de libre et aventureuse invention. À ne les considérer même que comme un beau et attrayant spectacle pour la pensée, qui comparerait le système de Newton à la machine des tourbillons de Descartes ou à cet ensemble planétaire encore plus compliqué de cycles et d’épicycles qu’avait construit l’antiquité ? Aux premiers pas de l’esprit philosophique dans la voie de l’observation, il y a comme une sorte d’abjuration de la beauté ; mais elle reparaît bientôt sous une autre forme, toujours plus brillante à mesure qu’on avance, et enfin s’élève sur de solides fondemens un système bien plus grand et plus beau que celui qui flottait dans l’air devant l’œil du génie. Il est aisé d’en assigner la cause. Ce que nous découvrons par l’observation est l’œuvre de l’imagination divine transformée par le pouvoir créateur en solide et durable réalité. Ce que nous inventons nous-mêmes n’est l’œuvre que de l’imagination humaine. D’une part est la fidèle représentation des conceptions qui sont dans l’esprit de Dieu, de l’autre la vacillante image des conceptions qui sont dans l’esprit de l’homme. L’ouvrier qui écarte les ronces et les décombres sous lesquels se cache quelque noble monument fait bien plus pour notre plaisir et notre goût que si, de sa main inhabile, il nous dressait quelque plan de sa façon. C’est ainsi que la science expérimentale, en échange des beaux rêves qu’elle a repoussés au début de sa carrière, nous révèle des beautés bien supérieures dans les réalités de la nature. Les spectacles que nous découvre l’observation n’ont pas seulement plus de vérité, mais aussi plus de grâce et de grandeur que toutes les visions que nous faisait apparaître l’imagination librement errante. Ni la grâce, ni la grandeur d’une idée, quelles qu’elles soient, ne suffisent pour la faire accepter sans preuve de l’esprit philosophique ; il faut que cette idée subisse d’abord, et sans cérémonie, le libre examen des yeux humains et le libre travail des mains humaines ; tantôt qu’elle descende au fond d’un creuset, tantôt qu’elle traverse les filtres et les fumées d’un laboratoire, ou bien qu’elle résiste très longtemps à toute sorte d’épreuves multipliées et compliquées, et ce n’est qu’après avoir été soumise et avoir survécu à cette inquisition intellectuelle qu’une idée prend place dans le temple de la vérité et est admise au nombre des lois d’une saine philosophie. »

Personne, à coup sûr, ne contestera que ce ne soit là le langage d’un fervent disciple de la science ; il est impossible de sentir plus vivement sa beauté et d’accepter plus complètement ses lois. Quel mathématicien, quel physicien, quel physiologiste, quel chimiste