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du traité d’Utrecht jusqu’au traité de la neutralité armée, la France ne fit reconnaître dans aucune convention le principe de la liberté du commerce neutre. En 1716, c’est-à-dire trois ans après la paix d’Utrecht, elle déclarait, dans un traité de commerce fait avec les villes anséatiques, que « les marchandises trouvées sur les vaisseaux de ces villes et appartenant aux ennemis du roi seraient confisquées. » L’ordonnance de Louis XV, du 21 octobre 1774, déclare de bonne prise les marchandises ennemies saisies sur des navires neutres, ainsi que toutes les productions du sol et de l’industrie ennemis, à l’exception de celles que couvrirait le pavillon hollandais ou danois.

C’est en 1780 seulement que changea le langage de la France, et depuis cette époque il a peu varié, bien qu’il ait été souvent en contradiction avec ses actes. C’est à la philosophie du XVIIIe siècle que revient l’honneur d’avoir popularisé dans notre pays des doctrines qui tendent à adoucir et à circonscrire les horreurs de la guerre maritime. L’âme de la France s’ouvrit alors à toutes les pensées généreuses : Louis XVI proclama les principes de la liberté des mers ; mais ces solennelles déclarations ne servirent point de règle au gouvernement républicain, qui, par la convention du 9 mai 1793, condamna les vaisseaux neutres à la saisie. Le directoire ne mit aucun frein aux entreprises des corsaires, viola le traité conclu par Louis XVI avec le Danemark, et alla, dans la loi du 18 janvier 1798, jusqu’à déclarer que la qualité des navires comme neutres ou ennemis ne serait désormais déterminée que par la provenance des cargaisons, et que tout bâtiment chargé de marchandises anglaises serait de bonne prise. En 1796, la France défendit aux neutres non-seulement de transporter, mais d’exporter de la contrebande de guerre, doctrine contre laquelle les États-Unis s’empressèrent de protester, et qui faillit nous mettre aux prises avec une république que nous étions pourtant si intéressés à ménager. Cet état de choses dura jusqu’au 18 brumaire. Le premier consul, préoccupé de rétablir de bons rapports avec les neutres, déclara que la république française revenait aux principes de 1780, et confia la présidence du conseil des prises à Portalis, dont la modération égalait la fermeté et l’intelligence ; mais est-il nécessaire de rappeler ce qui suivit ? Aux pratiques du consulat succédèrent les pratiques arbitraires de l’empire, et le grand principe de la liberté des mers servit à couvrir cet ensemble d’actes dictatoriaux et vexatoires qui aboutit enfin au fameux blocus continental. Si le règne de. Louis XVI et le consulat sont les seuls points lumineux de notre politique maritime, il est cependant permis de remarquer que les écrivains anglais, tels qu’Historicus, manquent peut-être de générosité, quand ils nous représentent mesurant l’intérêt que nous portons à la cause des