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France même, au sein d’une ville, allemande sous certains rapports, mais éminemment française de cœur, à Strasbourg, s’était constituée une haute école de critique religieuse ? La réputation de la faculté de théologie de cette ville, depuis longtemps établie dans les universités d’outre-Rhin, était à peu près ignorée parmi nous, M. le professeur Schmidt, par ses beaux travaux sur les Cathares du moyen âge, avait sans doute attiré l’attention des lecteurs d’élite ; mais les autres professeurs, M. Bruch, M. Reuss, devaient écrire en allemand des ouvrages qui n’eussent pas encore trouvé de public français disposé à leur faire accueil[1]. En 1849, une revue française de théologie et de philosophie se fondait sous la direction de MM. Colani et Scherer. C’était une première tentative sérieuse de translation sur notre sol national de plantes qui jusqu’alors n’avaient pas semblé pouvoir même y prendre racine. Ce recueil, bien que peu lu, fit dans le monde savant de notre pays une de ces trouées obscures, mais profondes, dont nul ne se doute jusqu’à l’heure où des ébranlemens considérables avertissent les plus sourds que le sol est miné sous leurs pas.

Parmi les œuvres qui témoignent de l’intérêt véritable avec lequel le public s’occupe des questions religieuses, et surtout de celles qui sont relatives aux origines du christianisme, il faut distinguer l’excellent livre que M. Reuss a publié en 1863 sous ce titre : Histoire du Canon des Écritures saintes dans l’église chrétienne. M. Reuss possède le talent rare d’être un écrivain distingué en deux langues aussi disparates que le français et l’allemand : non pas que son style français vaille son style allemand, qui est fort beau ; mais il a une vivacité et une lucidité aussi agréables que nécessaires dans le développement de questions arides, souvent obscures, et il joint à ces qualités toutes françaises une certaine saveur étrangère qui ne manque ni d’originalité ni de charme. Quant à ses tendances et à son point de vue, on aura tout dit en le définissant un critique pur. Ni le dogme ni la philosophie, mais la recherche historique de la vérité autant qu’elle est accessible, tel est son but exclusif. C’est à ce désintéressement que sa critique doit sa force par la confiance qu’elle inspire à ceux qui cherchent, non pour conserver ou pour détruire, mais pour savoir. On est donc autorisé à le prendre pour

  1. M. Bruch, doyen de la faculté, avait publié dans cette langue des Lettres sur le christianisme dont une traduction française a paru il y a quelques années, et un traité fort remarquable sur la Doctrine de la sagesse chez les Hébreux. M. Reuss avait aussi rédigé en allemand une Histoire des Livres du Nouveau Testament, dont plusieurs éditions augmentées et révisées attestent le succès prolongé auprès des théologiens étrangers, et en français une Histoire de la Théologie au siècle apostolique, qui est arrivée à sa troisième édition.