Il faut chercher ailleurs la première trace d’un canon chrétien.
Vers l’an 140, un jeune gnostique d’Asie-Mineure, Marcion, arrive à Rome, s’attribuant la mission de relever, par le retour au paulinisme, l’église, retombée, selon lui, dans la vieille ornière judaïque. Pour légitimer sa doctrine, il apporte un recueil de livres devant faire autorité, savoir un Évangile fort semblable à notre Évangile de Luc, et dix des épîtres de Paul que nous possédons. Les avantages que l’école marcionite tira, pour sa propagation et pour son maintien, de la possession d’un tel livre sacré purent donner aux chrétiens orthodoxes l’idée d’en constituer un qui leur appartînt en propre. Toutefois cette idée ne fit son chemin que lentement. On en a la preuve, une vingtaine d’années après Marcion, dans la totale ignorance d’un Justin Martyr en fait de canon chrétien. Ce Justin est pourtant un célèbre apologiste de la foi chrétienne contre les païens et contre les Juifs, un grand admirateur de l’Ancien Testament, cherchant et trouvant partout des prédictions miraculeuses des événemens relatifs à l’apparition de l’Évangile. C’est lui, entre autres, qui pousse l’idée de l’inspiration jusqu’à dire que le prophète est complètement passif quand il écrit ou quand il parle, qu’il est alors à l’esprit de Dieu ce que la flûte est au musicien. À coup sûr, s’il y avait eu alors dans l’église un canon arrêté, un tel homme eût été le premier à l’exalter. Eh bien ! Justin ne cite parmi les livres de notre Nouveau Testament, comme faisant autorité, que l’Apocalypse, sans doute à cause des prédictions dont elle est remplie, et qu’on ne comprenait déjà plus dans leur vrai sens.
Ce qui fait toutefois que cet écrivain marque dans l’histoire du canon, c’est qu’il indique le moment où la tradition orale est tombée en déchéance comme source de l’histoire évangélique. Ses données sur la vie de Jésus sont empruntées à des écrits anonymes qu’il réunit sous le titre commun de Mémoires des Apôtres. Il est probable que nos Évangiles actuels de Matthieu, de Marc et de Luc faisaient partie des documens consultés par lui ; il est certain aussi qu’il en connaissait d’autres que nous ne possédons plus, En somme néanmoins, ces documens ne différaient pas essentiellement par le type général de nos trois premiers Évangiles. Quoi qu’il en soit, à l’époque de Justin Martyr, un grand pas est fait sur la période précédente : l’écrit règne désormais dans l’église, et bientôt viendra le désir de savoir au juste quels sont, parmi les écrits en circulation, les plus dignes de créance.
En effet, la fin du IIe siècle se signale par une propagation beaucoup plus active qu’auparavant des livres apostoliques, ou regardés comme tels. De ces livres, les uns acquièrent dès lors une autorité universellement reconnue, les autres sont suspects ou-rejetés ; plusieurs