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aujourd’hui la nation française, une guerre contre l’Allemagne serait impossible à moins qu’il ne fût entendu d’avance que la France, pour cette guerre, recevrait une compensation ; mais quelle serait cette compensation ? C’est ce que l’Europe en général et la France en particulier comprennent bien. » Sur ces grandes manœuvres diplomatiques plane donc la question de nos frontières naturelles. Cette question se pose toutes les fois que l’Allemagne croît en densité ou en étendue. Les agrandissemens que l’Allemagne poursuit aux dépens du Danemark donnaient à cette question une gravité actuelle ; elle est encore une fois ajournée. C’est aux cours allemandes de prendre garde de ne pas la réveiller par de nouvelles ambitions.

Autant donc qu’on en peut juger par les récens débats du parlement anglais, la politique de la France dans la question danoise a été celle-ci : dispositions favorables au Danemark, attention donnée aux intérêts d’équilibre que ce pays représente, amendement du traité de 1852 pour le concilier avec les aspirations nationales des deux duchés ; dans la sphère des négociations et au sein de la conférence, accord complet avec l’Angleterre, mais, dès l’origine, refus de conformer l’action aux opinions ; pas de guerre, à moins que l’Angleterre ne consentît d’avance au principe d’une compensation territoriale à notre profit. Les choses étant ainsi, l’opposition en Angleterre n’a point été habile en cherchant à établir un contraste entre la politique de lord Palmerston et de lord Russell et la nôtre, et en reprochant aux ministres anglais de n’avoir point suivi notre exemple. La faute du ministère anglais s’est donc réduite aux yeux de l’opposition à nous avoir imités trop tard. Ce système d’attaque a donné lieu à de faciles répliques. M. Gladstone, qui a répondu à M. Disraeli, a fait remarquer que les reproches que le chef de l’opposition dirigeait contre la politique anglaise rejaillissaient contre celle de la France, qu’il proposait comme modèle. À la chambre des lords, un autre ministre, le duc d’Argyll, a rétorqué d’une façon piquante l’argument que l’opposition cherchait dans la comparaison des deux politiques. « J’ai pour les Danois une sympathie profonde, autant de sympathie qu’en peut ressentir tout autre membre de cette chambre ; mais je déclare que l’Angleterre n’a aucun intérêt personnel et matériel à l’existence de cette nation. Il n’en est pas de même de la France. Je pense que la France a un intérêt matériel à empêcher l’agrandissement de la confédération germanique dans les eaux de la Baltique. Quant à la crainte que l’Allemagne comme puissance maritime pourrait inspirer à l’Angleterre, c’est une idée bouffonne. Lord Ellenborough disait dans un récent débat qu’une flotte n’ajouterait pas grand’chose à la force de l’Allemagne ; mais, quand il en serait autrement, je dis qu’une flotte allemande sera toujours autant l’amie de l’Angleterre qu’une flotte danoise. Au surplus, je demande quelle est la situation des deux pays, la France et l’Angleterre, dans cette question. L’Angleterre a reculé devant une guerre avec l’Allemagne entière qu’elle aurait eu à soutenir seule ; la France a reculé