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ses ancêtres qui lui ont montré le chemin. Le fils de la comtesse Aurore n’est pas le premier de sa race qui se soit battu sous nos drapeaux. Il y a eu des Kœnigsmark dans les armées de Louis XIV. Je ne désigne pas ici le vieux Kœnigsmark (c’est le nom qui lui est resté dans l’histoire), le compagnon et le disciple de Gustave-Adolphe[1] ; celui qui, le 5 mai 1645, sachant Turenne en péril, accourut si vite et le sauva, comme de nos jours le maréchal Bosquet, à Inkermann, a sauvé l’armée anglaise. Dans nos rangs même, au milieu de nous, deux Kœnigsmark ont tiré l’épée contre nos ennemis. L’un était le grand-oncle de Maurice, l’autre était le frère de sa mère. Le comte Otto-Wilhelm, fils du vieux Kœnigsmark, vint en France après une première jeunesse fort agitée, fit bonne figure à la cour, s’engagea parmi les volontaires qui menèrent si brillamment l’expédition de Candie sous le duc de Lafeuillade, mais, retenu par je ne sais quel obstacle, voulut du moins se dédommager dans la guerre de, Hollande. Le roi le chargea d’organiser un régiment qui prit le nom de Royal-étranger. Nommé d’abord brigadier de ce régiment, le jeune comte se distingua sous Turenne, gagna son grade d’officier supérieur, et fut maréchal-de-camp en 1674. À Maëstricht, il avait mérité les éloges de Turenne ; après Sénef, il reçut du roi une épée d’honneur. Son inconstante humeur l’entraîna bientôt aux extrémités de l’Europe. Or, tandis qu’il se bat contre les Turcs, d’abord à la tête des Hongrois, ensuite sous la bannière de Venise, tandis qu’il prend Navarin, Modon, Athènes, presque toute la Morée, et qu’il s’en va mourir sous les murs de Négrepont, emporté par la fièvre comme par un boulet (1688), le fils de son frère, Charles-Jean de Kœnigsmark, joue à son tour un rôle dans les armées de Louis XIV. Celui-là nous arrivait d’Angleterre ; établi d’abord à Londres, qui semblait être sa patrie d’adoption, il avait été forcé de prendre la fuite sous le coup d’une accusation capitale. Le mari d’une femme qu’il aimait, un des plus opulens personnages de l’aristocratie britannique, sir Thomas Thynne, était tombé en plein jour, en pleine rue de Londres, dans son carrosse, frappé de cinq coups de feu. Le meurtrier, on le sut bientôt, était un gentilhomme allemand, parent et ami du jeune comte, qui avait exécuté le complot avec deux estafiers, un Suédois et un Polonais. Charles-Jean de Kœnigsmark était-il complice du crime ? Le procès, qui agita toute la société anglaise[2], ne parvint

  1. Le monument de Gustave-Adolphe, à Stockholm, garde le souvenir de ce rude et vaillant soldat. On voit dans les bas-reliefs du piédestal la figure de Jean-Christophe de Kœnigsmark à côté des autres lieutenans du héros, Bauer, Wrangel, Torstenson.
  2. Le roi Charles II voulut interroger lui-même l’accusé avant qu’il comparût devant le jury. On a dit que le roi était décidé d’avance à le trouver innocent ; ce qu’il y a de certain, c’est que ni le roi ni les juges ne troublèrent un instant sa fière attitude. Pressé d’objections, il eut réponse à tout. — Voyez le travail intitulé Die Grafen von Kœnigsmark, dans le douzième volume des Geheime Geschichten und räthselhafte Menschen, par M. Bülau. Leipzig 1860.