Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la ville avant que les assiégés aient eu le temps de se reconnaître. Écoutez Maurice lui-même ; voici son récit de l’escalade de Prague. Cette nuit du 25 au 26 novembre 1741, il lui appartenait de la décrire.


« Je ramassai quelques échelles et j’accommodai deux poutres avec des cordes pour me servir de béliers. Le marquis de Mirepoix revint me joindre à neuf heures du soir avec ses mille hommes d’infanterie, et nous marchâmes sur-le-champ vers Prague ; mais comme la partie que j’avais commencé à reconnaître était celle de la citadelle, qui était très forte, je coulai tout le long du fossé jusqu’à Neu-Thor, la seule porte non murée de ce côté de la ville. Quoique l’on m’eût dit que le revêtement y était fort haut, je me résolus néanmoins d’y faire mon attaque, parce qu’il me fallait une porte pour faire entrer tout de suite ma cavalerie, n’ayant qu’une poignée d’infanterie. La ville d’ailleurs étant immense, je jugeais que si la cavalerie était une fois entrée, elle empêcherait les différens postes de la garnison de se communiquer et de se réunir. J’allai donc auprès de cette portE, qui est la seconde en-deçà de la Basse-Moldau, dans le dessein d’y planter mon escalade. Je fis mes dispositions en marchant… Il pouvait être une heure après minuit. Je fis halte, et pendant qu’on distribuait les échelles, la poudre et les balles, je m’avançai avec M. de Chevert, lieutenant-colonel du régiment de Beauce, pour reconnaître où nous ferions l’attaque. Je me coulai dans le fossé, qui n’avait point de revêtement du côté de la campagne. Je trouvai près de la porte un bastion qui avait trente-cinq pieds de haut, revêtu de briques jusqu’à environ trente pieds ; vis-à-vis était une espèce de plate-forme, formée par les gravois et les immondices de la ville, et à peu près au niveau du rempart. Comme le temps pressait, je n’eus pas le loisir de reconnaître la place plus loin, et je me décidai à planter l’escalade dans le flanc du bastion du polygone, à côté de celui où était la porte de la ville. Je dis à M. de Chevert que je me mettrais avec les troupes sur cette plate-forme dès que je m’apercevrais qu’il serait découvert pour y attirer les regards et le feu de tout le polygone, et qu’en même temps j’attaquerais le pont-levis.

« Tout cela se fit dans un si grand silence que les sentinelles du rempart ne s’en aperçurent pas. J’avais fait mettre pied à terre à six cents dragons et à quatre cents carabiniers : il me restait vingt-quatre troupes de cavalerie que je fis avancer sur la chaussée pour entrer dans la ville au moment où j’aurais forcé la porte. Les échelles ayant été distribuées aux grenadiers, j’ordonnai au premier sergent de monter avec huit grenadiers et de ne point tirer, telle chose qui arrivât, de poignarder les sentinelles, s’il pouvait les surprendre, et de ne se défendre qu’à coups de baïonnette, s’il trouvait résistance. Ce sergent devait être suivi de M. de Chevert, à la tête de quatre compagnies de grenadiers et de quatre cents dragons ou fusiliers conduits par le comte de Broglie. Le sergent étant parvenu au haut du rempart avec les huit grenadiers, les sentinelles donnèrent l’alerte. Je m’étais assis sur le bord du fossé, au bout de la plateforme de gravois, vis-à-vis le bastion dans lequel M. de Chevert devait monter. J’avais caché huit troupes de dragons à trente pas derrière moi.