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de Maillebois ne seconde-t-il pas son audace ? Pourquoi le maréchal de Broglie se refuse-t-il à exécuter ses plans ? Maurice pousse des cris de rage en pensant aux victoires qui nous échappent. Il écrit au ministre pour se plaindre du maréchal de Maillebois, il écrit au maréchal de Broglie pour le supplier de ne pas battre en retraite, de garder et de fortifier ses positions, d’attendre la jonction complète des trois armées[1], d’opposer aux Autrichiens une formidable ligue et de prendre là nos quartiers d’hiver pour agir au printemps. Quoi ! rien n’est perdu et l’on se retire ! Prague, Egra, cette Bohême si brillamment conquise, on l’abandonne quand il ne reste plus à faire qu’un suprême effort pour jeter l’ennemi dans le Danube ! La douleur de Maurice est si vive qu’il va jusqu’à demander au roi de quitter le service et de retourner en Saxe, puisqu’on ne tient nul compte de ses avis. C’est aux gens du métier de juger les combinaisons proposées par Maurice. « Les armées françaises, dit Voltaire, furent détruites en Bavière et en Bohême sans qu’il se donnât une seule grande bataille, et le désastre fut au point qu’une retraite dont on avait besoin, et qui paraissait impraticable, fut regardée comme un bonheur signalé. » Voltaire a-t-il raison ? Frédéric le Grand a-t-il raison d’approuver aussi la retraite du maréchal de Belle-Isle, sauf l’imprévoyance du chef et son manque de ménagemens pour le soldat ? Nous n’oserions contredire de tels juges ; seulement, nous qui interrogeons l’homme chez Maurice de Saxe encore plus que le capitaine, nous admirons et cette foi belliqueuse dans les ressources de la France, et cette sympathie si ardente, si douloureuse pour ses camarades de la garnison de Prague. Il faut regretter sans doute que cette inutile escapade à Moscou l’ait séparé de l’intrépide Chevert ; il n’a pas cessé du moins de songer à ses compagnons d’armes, il a parlé, il a crié pour eux, il leur a envoyé ses encouragemens et ses vœux à travers l’espace ; enfin, chargé de ramener sur le Rhin les divisions décimées par l’impéritie de Maillebois, il s’est retiré en victorieux, frottant les pandours en toute rencontre et ne se laissant pas entamer un seul jour.

Ainsi, dans cette espèce de déroute générale, Maurice avait grandi encore aux yeux de l’opinion. Lorsqu’il revient à Paris, le 16 février 1743, après avoir établi ses troupes à Deckendorf pour les quartiers d’hiver, le roi l’accueille avec une faveur marquée. L’armée entière, mécontente de ses chefs, brûle de prendre sa revanche

  1. Il y avait deux armées françaises au centre de l’Allemagne ; l’armée de Bohême et l’armée de Bavière, sans compter l’armée de Westphalie, qui s’avançait alors à leur secours. Au moment de la retraite, l’armée de Bohême était commandée par le maréchal de Belle-Isle, l’armée de Bavière par le maréchal de Broglie. Ce furent surtout les soldats de Belle-Isle qui eurent a supporter d’effroyables épreuves.