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à un ami. Informé des désastres de Dunkerque, le comte d’Argenson apprend en même temps que l’escadre de l’amiral Norris a échappé à la surveillance de M. de Roquefeuille, et qu’elle est en mesure d’empêcher le débarquement dans la rivière de Londres. D’ailleurs aucune nouvelle des jacobites d’Angleterre, aucun indice de la révolution promise. Soudain une sage prudence succède aux illusions téméraires ; l’entreprise est indéfiniment ajournée, sans qu’on ait l’air toutefois d’y renoncer tout à fait.


« Vous continuerez, monsieur, de suivre l’embarquement que vous avez commencé, mais sans y mettre de précipitation, et vous n’y apporterez que la sorte d’apparence d’empressement qui convient pour marquer que le roi n’abandonne pas le projet qu’il a formé, et dont l’exécution ne dépend que des secours et des facilités qui lui ont été promis de la part des partisans du roi Jacques, mais sur lesquels on ne peut compter tant qu’on n’aura pas de nouvelles précises.

« Sa majesté ne juge donc point à propos, dans les circonstances présentes, que vous sortiez de la rade de Dunkerque pour passer en Angleterre, jusqu’à ce que vous soyez informé directement par ceux du parti du roi Jacques qui sont dans le secret que tout est prêt pour vous recevoir et que le lieu de débarquement vous soit précisément indiqué. Si ces nouvelles, ces indications, ces assurances nous venaient plutôt qu’à vous, je vous dépêcherais aussitôt un courrier pour vous en informer et pour vous porter les ordres de sa majesté.

« Au reste, sa majesté désire extrêmement qu’en marquant de sa part autant de fermeté qu’elle fait pour la suite d’un projet qui a été dans l’origine entrepris sur la foi du secret, et que l’arrivée subite du prince de Galles a entièrement déconcerté par la publicité qu’elle y a donné, toutes les difficultés qui surviennent aujourd’hui à chaque pas pour l’exécution de ce projet soient pesées et examinées avec le prince de Galles et avec ceux qui le conseillent, en sorte que si l’on est obligé d’abandonner l’entreprise par l’impossibilité absolue de l’accomplir, cette impossibilité soit reconnue authentiquement par ceux du parti du roi Jacques, et qu’ils soient les premiers eux-mêmes à conseiller le désistement de l’entreprise…

« D’ARGENSON. »


Les lettres échangées à cette occasion entre le comte de Saxe et Charles-Edouard nous montrent le désespoir de Maurice et les nouvelles combinaisons qu’il imagine pour vaincre la fortune ennemie. Le jeune prince lui écrit le 9 mars : « Le désespoir que vous marquez sur l’obscurité qui couvre cette affaire à présent me donne des preuves de votre zèle,… », et quatre jours après : « Votre projet des bâtimens pêcheurs avec trente mille hommes pour faire suer l’Angleterre me plaît infiniment, Je me persuade qu’ayant débarqué dix mille de ces trente, en quelque coin du pays que ce débarquement se ferait, nous n’aurions pas lieu de les rembarquer ou de craindre la conséquence.