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contre le clergé, l’autre est entreprise par et pour le clergé. On vit naître alors les deux partis qui se combattent encore aujourd’hui, l’un se ralliant autour de van der Noot, l’autre autour de Vonck ; celui-là s’appuyant sur les habitans des campagnes, soutenu par le clergé et n’ayant qu’un but, rétablir la domination de l’église ; l’autre, composé de la bourgeoisie éclairée, imbue des idées de l’époque et avide de réaliser les progrès qui fascinaient alors tous les esprits. Les armées autrichiennes n’étaient pas encore expulsées du territoire, et elles s’apprêtaient à le reconquérir que déjà le parti de van der Noot et du clergé se retournait avec fureur contre les vonckistes, dont l’appui leur avait été nécessaire pour repousser l’étranger. L’archevêque de Malines lance contre ceux-ci un mandement, puis une circulaire adressée à tous les curés, où les partisans des nouveautés sont menacés « de toute la colère du peuple brabançon indigné » et signalés à la vindicte publique. Un comité ecclésiastique dirigé par les jésuites se forme à Bruxelles, et les moines excitent le peuple au pillage comme au temps de la ligue.

La conquête française mit fin à ses dissensions, mais sans ébranler sérieusement l’influence du clergé. Son hostilité sourde contre le nouveau régime, longtemps domptée par une main de fer, se manifesta vers la fin de l’empire[1]. Les évêques belges se rangèrent dans l’opposition au concile de Paris, et en 1813 éclata à Gand une insurrection de séminaristes rappelant celle du séminaire de Louvain, qui avait été le signal de la révolution brabançonne. Quand, en 1815, la Belgique fut réunie à la Hollande, le roi Guillaume voulut donner à son royaume une charte garantissant les droits et les libertés qui forment la base de l’état moderne, la liberté de la presse, la liberté des cultes, l’égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois. En consacrant ainsi toutes les conquêtes si chèrement payées de 1789, il crut sans doute mériter la reconnaissance de son

  1. Cette opposition se manifestait même par de prétendus miracles qui irritaient vivement l’empereur. La situation des esprits ressort clairement de la lettre confidentielle suivante, adressée au préfet du département de l’Escaut et conservée aux archives de Gand.
    « Paris, le 3 mai 1811.
    « Je suis informé, monsieur, que l’idée d’un prétendu miracle qui se serait opéré dans le village de Haesdonck, près de Termonde, a attiré dans ce lieu une affluence si prodigieuse d’individus au diocèse de Gand, que ce n’est pas exagérer en l’évaluant à cent mille personnes. Je ne puis concevoir, monsieur, que vous ayez souffert cette jonglerie, faite pour entretenir parmi les peuples de vos contrées les idées de merveilleux et de superstition auxquelles ils se montrent déjà si enclins. Les ministres de sa majesté devraient-ils être obligés de tracer aux autorités éloignées la marche qu’elles ont à suivre dans des circonstances semblables ?… Je vous invite, monsieur, à donner des ordres pour qu’on fasse disparaître sur-le-champ jusqu’à la dernière trace de ce prétendu miracle, et à faire en sorte que des mystifications de cette espèce ne se renouvellent pas dans votre département. Agréez, etc. »
    « Le duc de ROVIGO. »