Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culture ; il ne spécule pas sur la richesse à naître parce qu’il sait que la richesse, une fois née, ne lui échappera pas, et que dans les formes qu’elle doit affecter, il en retrouvera amplement sa part. Au profit direct il préfère le profit incident, qui est autrement sérieux et durable. Qu’on choisisse les meilleurs lots, qu’on délaisse les plus ingrats, peu importe. À mesure que le peuplement se fait, que la zone cultivée s’étend, un retour naturel s’opère : ce qui d’abord avait été dédaigné a pris de la valeur par le voisinage, par l’état des communications, par les débouchés ouverts, par l’assainissement successif. Là où hier on était en plein désert, des hameaux, des bourgs, des villes ont été créés, la campagne s’est animée de proche en proche. L’avantage dévolu aux premiers occupans se trouve ainsi justifié par les avantages qu’ils ont fait naître autour d’eux, par le prix qu’ils ont donné à ce qui les entoure. Aucun calcul, si savant qu’il fût, n’eût mieux servi l’état que la générosité indistincte avec laquelle il s’est dessaisi, que cette offre à un taux fixe, inscrite dans la loi et applicable à tout acquéreur, sans discussion de qualités, sans acception d’origines, sans autre garantie que l’instinct du propriétaire à tirer parti de ce qui lui appartient. Les faits ont prouvé que cette marche était la bonne, qu’elle allait au but en supprimant les embarras. De 1833 à 1850, 30 millions d’hectares ont été aliénés et livrés au défrichement ; le peuplement s’est mis en rapport avec ce chiffre significatif.

Longtemps le régime de concession directe a été le seul en vigueur dans nos possessions du nord de l’Afrique. Comment se fait-il qu’il soit demeuré inerte, tandis qu’au-delà de l’Atlantique il suscitait tant d’activité ? Aux 30 millions d’hectares aliénés aux États-Unis dans le cours de vingt ans, nous n’avons à opposer, pour trente-quatre ans d’occupation, que 425,000 hectares. Même abstraction faite des années militantes, il y a là une disproportion énorme. D’où cela vient-il ? D’un fait très simple : c’est qu’en passant par nos mains, le régime de concession directe a changé de nature ; au lieu d’être un droit commun, il s’est converti en privilège ; on a voulu choisir, distinguer, s’entourer de garanties. La faveur a eu plus de part aux concessions que les titres réels. Des dévolutions gratuites de 1,000, 2,000 et 3,000 hectares étaient faites à des cliens favorisés, qui n’avaient ni les moyens ni la volonté de mettre le sol en rapport, et qui, le laissant en friche, attendaient l’occasion de le revendre en détail ou en bloc, en prélevant une prime à leur profit sur les véritables exploitans. Ces parasites ont été et sont encore la plaie de la colonisation de l’Algérie ; ses langueurs sont venues en partie de là. Toutes les terres, et naturellement les meilleures, accordées à l’influence, étaient autant d’enlevé au travail et surtout