Cette question des barrages est pour l’Algérie d’un intérêt vital, et il faudra bien que tôt ou tard on l’étudie autrement que d’une manière empirique. Si l’on veut réellement du coton, on n’en aura qu’à ce prix. On dirait que tout ce qui peut contribuer à la fortune de l’Algérie pèse aux esprits qui en disposent. Nous qui en toutes choses avons des systèmes, là-bas nous nous efforçons de n’en point avoir. Cet établissement de barrages qui métamorphosent le sol et tirent une richesse du néant valait pourtant la peine d’être examiné à fond et de prendre le rang qui lui appartient dans les recherches d’utilité publique. Ce n’est point ici une œuvre stérile, un embellissement comme on en prodigue dans nos villes ; avec un grand coût et peu de rapport : c’est une œuvre qui a sa force propre, son mérité et sa vertu. Jugeons-la donc pour ce qu’elle est. Le point de départ serait qu’elle peut amplement se suffire. Dès qu’elle crée une valeur, et c’est là un fait manifeste, ne serait-il pas à la fois juste et naturel qu’elle en retînt une part pour se couvrir de ses dépenses et reconstituer son capital ? Sur ce pied, l’établissement d’un barrage ne serait plus un sacrifice imposé à la communauté, mais une entreprise ayant ses conditions de vie, un bon emploi de l’argent, un placement avantageux. Ce sentiment était celui de M. Aucour, et il l’a exprimé dans deux rapports officiels pendant son séjour dans la province d’Oran. L’aspect du pays avait frappé le savant ingénieur ; il en avait entrevu et deviné les ressources. Dans les huit bassins hydrographiques qui y sont renfermés, il avait évalué à 200,000 hectares les superficies susceptibles d’irrigation. D’après ses calculs, 10 millions de francs devaient suffire pour mettre ces superficies en rapport, et il estimait à 30 millions par an le revenu probable après l’achèvement des travaux. Pourquoi la province aurait-elle laissé échapper de ses mains cet accroissement de fortune ? M. Aucour lui conseillait de s’en emparer hardiment, et de recourir à l’emprunt pour former le capital de roulement. Comme garantie, la province pouvait offrir, outre ses produits ordinaires, les redevances que lui paieraient les usagers pour le service des eaux. En portant les redevances à 40 francs par hectare pour les cultures d’été et à 10 francs pour les cultures d’hiver, conditions très discrètes, le revenu de la province aurait graduellement atteint le chiffre de 3 millions. La dépense et les redevances auraient d’ailleurs été successives et se seraient fait équilibre de manière à alléger le service de l’emprunt : au bout de six années, la somme eût été amortie, capital et intérêts. La province serait dès lors entrée en possession d’une belle liste civile, avec la seule charge des frais d’entretien. Il n’y avait là dedans rien d’illusoire, tout reposait sur des chiffres précis. Le moyen de contrôle en était dans des faits vérifiés.