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dans le temps, ou comme une présence transcendante et éminente), ce double infini n’est pas moins incompréhensible que l’infini de qualité, et pourtant M. Vacherot n’hésite pas à l’admettre, obéissant en cela même à une nécessité logique invincible. Enfin, pour employer la langue scolastique, si l’infini extensif peut être réalisé, pourquoi l’infini intensif ne le serait-il pas ?

Nous touchons ici au plus profond des abîmes que cache la recherche des mystères divins. La raison nous dit que Dieu est infini dans l’espace et dans la durée, infini dans, le sens du nombre ; mais il est aussi infini dans le sens de l’être, de la puissance, de la perfection. Il est à la fois un infini de quantité et un infini de qualité : c’est là ce que les scolastiques appellent l’infini d’extension et l’infini d’intensité. Je ne me charge pas de concilier ces deux infinis, car je répète que je ne crois pas ma pensée adéquate à l’essence des choses ; mais pourquoi exclure arbitrairement l’un de ces infinis au profit de l’autre ? Pourquoi l’infini d’étendue et de durée ne serait-il pas en même temps un infini de sainteté, de vérité et de beauté ? M. Vacherot, dans sa préface, nous accorde que le Dieu de l’esprit et de la conscience est supérieur au Dieu de la nature ; mais il demande si l’on ne peut pas concevoir un Dieu supérieur au Dieu de l’esprit. Oui, sans doute, lui répondrai-je : j’accorde qu’en Dieu les perfections de la nature, sous, une forme éminente et absolue, se concilient avec les perfections de l’esprit dans une essence incompréhensible. J’accorderai même aux Allemands, mais dans un autre sens qu’eux, que Dieu est l’identité du sujet et de l’objet, de l’être et de la pensée ; mais c’est à la condition que le sujet et l’objet, l’être et la pensée soient conçus en Dieu, dans leur type absolu et éminent, et non pas comme les Vagues puissances d’une substance d’où tout sort indifféremment.

Voici enfin une dernière difficulté[1]. Les anciennes écoles athées se contentaient d’admettre un principe quelconque qui, grâce à un temps infini et à des combinaisons infinies, amenait à un moment donné le monde tel qu’il est. L’idéalisme hégélien, dont M. Vacherot est le vrai représentant parmi nous, se crée de bien plus grandes difficultés en admettant que le monde se développe, non au hasard, mais suivant une loi interne et par un progrès latent qui le conduit par degrés continus du moins parfait au plus parfait. Dans le monde tel que le comprennent Épicure et Spinoza, il n’y a point de but ; tout se déduit et se développe suivant une loi nécessaire : c’est le monde de la fatalité et de la résignation passive. Nul espoir, nul

  1. Cette objection a été développée par M. Caro avec beaucoup de justesse et de vivacité dans les pages de son livre qu’il a consacrées M. Vacherot.