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entrevoir un avenir de grandeur et de puissance quand une voie de communication serait ouverte entre l’Uganda et l’Europe parce large canal dont il allait inspecter l’origine et étudier le cours ; d’ailleurs leur séparation ne serait que momentanée ; ils pourraient se revoir et chasser de nouveau ensemble. Il se résigna en même temps à faire d’énormes sacrifices pour obtenir son exeat. Il commença par celui qui lui coûtait le plus, le sacrifice de sa boussole. Mtesa n’avait cessé de la convoiter et la lui avait demandée plusieurs fois. Bombay fut chargé de la lui porter. La possession de ce joujou le ravit. Il riait de toutes ses forces, poussait des exclamations de joie, appelait ses femmes et ses courtisans pour le leur montrer. Il n’en fallut pas moins cinq mortelles semaines de négociations pour amener ce tyranneau à consentir sérieusement au départ des étrangers. Le bon roi du Karagué vint très efficacement en aide à Speke par un message adressé à son frère de l’Uganda, pour le prier de « lui renvoyer les hommes blancs. » Mtesa, irrité de ce message, comme si Rumanika le prenait pour son subordonné, résolut sur-le-champ de se séparer de ses hôtes. Il décida que Budja, un de ses officiers, avec une escorte, les accompagnerait. Il chargea l’amiral de donner les ordres nécessaires pour qu’un nombre suffisant de bateaux fût mis à leur disposition. Sachant que le pays qu’ils devaient traverser était marécageux et inculte, il leur fit donner soixante vaches, quatorze chèvres, dix paniers de beurre, une charge de café et une de tabac, avec cent pièces de mbougou pour habiller les hommes du capitaine. De son côté, Speke lui remit, comme présent de départ, son pliant, une belle carabine, des munitions de chasse, avec promesse de lui en envoyer davantage quand il aurait rejoint ses vaisseaux.


VI

En quittant l’Uganda, les deux voyageurs prirent la direction du nord-est. Ils n’avaient à faire que de 120 à 130 kilomètres pour atteindre le Nil ; mais, quand il faut marcher avec des hommes chargés et des troupeaux de gros et de menu bétail, une étape de 10 kilomètres suffit pour mettre hommes et bêtes hors d’haleine. Grâce à la hauteur du plateau, qu’ils n’avaient pas encore quitté, la chaleur était tolérable., bien qu’ils fussent sous la ligne ; le thermomètre centigrade oscillait entre 22 et 28 degrés. Ils durent s’écarter un peu de leur route pour arriver à des prairies sans limites où paissaient les troupeaux du roi. C’est l’intendant de ces domaines qui devait fournir les vaches et le beurre que Mtesa leur avait donnés. Munis de ces ressources, ils continuèrent leur voyage. À leur approche, les habitans du pays abandonnaient leurs villages,