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que le bas prix auquel les colonies peuvent livrer leurs produits, on se demande si elles ne prendront pas sur le marché une influence prépondérante aux dépens de l’agriculture européenne. La situation actuelle du squattage aux antipodes peut faire prévoir l’avenir qui lui est réservé.

On a vu quelles grandes surfaces l’élève des bestiaux absorbe à elle seule. Au début surtout, les stations, établies dans des districts récemment ouverts à la colonisation, se mesurent par milliers d’hectares. Le propriétaire de troupeaux ne tire pas parti, il est vrai, de tout ce que pourrait donner le terrain qu’il occupe, il laisse perdre sans profit pour personne une grande partie des forces productives que le sol recèle ; mais au moins il améliore singulièrement la terre. Les plaines, au moment où elles lui sont concédées, sont souvent recouvertes de buissons qui forment des fourrés impénétrables, ou bien elles ne produisent qu’une herbe maigre et rare dont les animaux ne sont pas friands. Les buissons une fois arrachés ou brûlés, le sol se bonifie d’année en année, grâce à la présence du troupeau lui-même et à l’engrais qu’il y dépose. La végétation change de nature. Les terres en apparence infécondes se transforment en bonnes prairies, et deviennent, par une révolution lente, mais continue, propres à une culture moins extensive. Il en est ainsi du moins pour les districts les moins mauvais du continent, car certaines parties, quoique parcourues depuis longtemps par les moutons, leur sont encore exclusivement abandonnées, comme ne paraissant pas se prêter à une exploitation plus perfectionnée.

Ces terres ainsi amendées et préparées, l’agriculture les réclame. L’industrie purement pastorale est donc menacée d’un côté par les envahissemens des fermiers, qui demandent à ensemencer les terres arables, afin de satisfaire aux besoins d’une population toujours croissante, et elle ne peut leur disputer longtemps la place, parce que la production des céréales, étant plus lucrative à surface égale, paie une rente plus élevée. D’autre part, les chercheurs d’or, qui sont privilégiés sous ce rapport, ont un droit absolu de faire des fouilles et de s’établir partout où le précieux métal apparaît. Les terrains aurifères sont précisément situés, à peu d’exceptions près, dans les cantons arides et déserts que le squatter eût espéré conserver longtemps sans compétition. Enfin le propriétaire de troupeaux aime, on le sait, à être isolé sur son run. Le voisinage des villages ou des mines d’or l’embarrasse. Il y trouve sans doute un débouché facile pour ceux de ses produits qui doivent être consommés sur place ; mais la proximité d’hommes adonnés à des industries diverses effarouche les troupeaux, exige une surveillance plus active, un personnel plus nombreux. La nature de l’exploitation