Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/925

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élève. Aussi était-il l’idole de la jeunesse. Malgré le fâcheux état de sa santé, qui avait toujours été chancelante, il montrait une activité infatigable, et, — ce qui était plus étonnant encore, — une inaltérable égalité d’humeur. Au milieu des plus atroces souffrances, il avait le sourire sur les lèvres. On ne le dérangeait jamais. Je l’ai vu quitter la rédaction d’une dépêche importante pour écouter patiemment les réclamations d’un quartier-maître. Rien en lui ne sentait l’effort : il abordait les plus graves questions avec la même simplicité que les plus vulgaires détails. Il suffisait à tout sans avoir besoin d’aide, sans fatiguer personne, sans avoir lui-même un air affairé. Cependant il travaillait beaucoup, mais il aimait à faire des loisirs aux autres.

Le commandant Lalande avait horreur des châtimens corporels et ne s’impatientait que lorsqu’il entendait vanter ce moyen de discipline. Son moyen à lui de gouverner, les équipages, c’était de les séduire en s’occupant sans cesse de leur bien-être, en les rendant fiers de leur capitaine. Nul homme n’a porté plus gaîment le poids de la responsabilité. C’était là sa supériorité et ce qui le désignait pour les grands commandemens. Il voyait tout en beau, les hommes, si médiocres qu’ils fussent, le ciel, si orageux qu’il se montrât, tout, jusqu’à l’époque dans laquelle il vivait. Son intrépidité était, si je puis m’exprimer ainsi, une intrépidité souriante. Il exécutait les coups de manœuvre les plus hardis en se jouant : il fallait même une certaine expérience de la mer pour reconnaître qu’il venait d’essayer quelque chose d’audacieux, tant il mettait peu de solennité dans ses apprêts. Il n’était pas dans sa nature de convoquer d’avance l’admiration, quoiqu’il fût loin d’y être insensible.

De grandes choses ont été accomplies par des hommes fort ordinaires. Les circonstances les favorisaient, et les événemens semblaient se baisser jusqu’à eux. Des hommes au contraire nés pour jouer un rôle, pour prendre au premier rang leur place entre les héros, ont passé sur la terre sans trouver des épreuves dignes de leur énergie. La révolution de juillet ne présageait pas une de ces époques stériles. Il y avait tant d’orages dans l’air, qu’on n’eût jamais pu croire que le ciel allait tout d’un coup recouvrer sa sérénité. Le commandant Lalande le croyait moins que personne. Depuis longtemps, son ambition était à l’affût ; suivant le mot heureux de Kléber, il préparait ses facultés. « Si jamais je rencontre l’occasion, disait-il souvent, je me souviendrai qu’elle est chauve. » L’occasion ne vint point. Plus d’une fois il s’imagina qu’il allait la saisir. À force de rêver la guerre, il la voyait partout. Son jugement, si sûr d’ailleurs, en avait été faussé. Il appréciait mal son époque. C’était un enfant des âges héroïques, et il attendait d’un moment à l’autre