Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maurice était chose moins facile. On en peut juger par cette lettre qu’il adresse de Mitau, le 15 novembre, à son cher confident, M. de Friesen :


« Eh bien ! mon cher comte, me voilà proscrit, ma tête mise à prix ! Dieu me fasse miséricorde si je suis pris ! Je crois que l’on ne me fera non plus de quartier qu’à un loup. Tout cela, ce sont des gentillesses de M. le feld-maréchal ; mais, comme je ne m’en étonne pas, aussi n’en suis-je pas autrement fâché, car, entre vous et moi, je me moque de la vie. Ce qu’il y a de très singulier, c’est que j’ai été condamné sans avoir été cité, sans avoir été accusé ni convaincu d’aucun crime, ni demi. En vérité, cela est fort drôle. Cependant ce décret est établi à éternité par la constitution de l’année 1726, et le roi, mon très honoré père, ainsi que toute la noble, prudente et juste assemblée, l’ont signé. Si je vous disais que j’en suis affligé, je ne vous dirais pas la vérité, car l’on m’ouvre une belle carrière ; cependant il est inouï que l’on traite quelqu’un de ma sorte ainsi. Qu’ai-je donc fait pour me voir proscrit comme un scélérat infâme ? Ah ! messieurs du sénat et de la république, vous me paierez la sottise que le Flemming vous a fait faire, et vous allez voir un beau train ! On veut donc que je prenne les armes ? Soit ! je les prends ; mais, tant que je pourrai tenir mon épée dans mes mains, je m’en servirai pour vous détruire. C’est ici, mon cher comte, où il faut vaincre ou mourir. Je commencerai, n’eussé-je que cent hommes, et quand ils seront tués, j’en chercherai d’autres, et cela tant que je respirerai. Si vous savez quelque part officiers ou soldats, adressez-les moi ; ils seront mes compagnons de fortune.

« Adieu, je suis furieux, non pas de ce que l’on me fait, mais parce que j’ai raison de l’être. Le feld-maréchal et Manteuffel sont deux grands coquins. Cela n’est pas nouveau, mais je veux faire à l’avenir comme ce barbier qui, se cachant dans les roseaux, criait toujours :

« Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne ! »

Voilà un beau cri de guerre, et celui qui le pousse est homme à tenir parole. « Je commencerai, n’eussé-je que cent hommes ; quand ils seront tués, j’en chercherai d’autres, et cela tant que je respirerai. » Or il a plus de cent hommes pour entrer en campagne ; la Courlande entière est prête à se lever avec Maurice ! C’est du moins ce qu’il écrit le 2 décembre au feld-maréchal de Flemming. Il vient d’apprendre que la diète de Grodno, avant de se séparer, a nommé une commission chargée de se rendre en Courlande et d’y faire exécuter ses décisions. « Qu’ils viennent donc ! s’écrie-t-il ; qu’ils tâchent d’entrer ! » Et sa première pensée est d’envoyer cet avertissement à Flemming :


« Votre excellence peut être persuadée que les Courlandais périront tous plutôt que délaisser entrer la-commission en Courlande ; ceux qui seraient d’un autre système seraient tués sur-le-champ comme traîtres à la patrie. Bref, à moins qu’on ne les extermine, on n’en viendra pas à bout. C’est ce que j’ai l’honneur d’assurer à votre excellence, et il ne faut pas croire que