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de l’empereur en personne. C’est entre ces deux avertissemens à son de trompe que le ballet se trouve placé.

Il est de règle que, dans tout opéra bien ordonné, le ballet ait sa part. Inventer des pas nouveaux, disposer des groupes, trouver à toute cette chorégraphie, plaisir des yeux, des raisons d’être, d’intéressans motifs de mise en scène, cet art charmant eut jadis aussi ses maîtres, lesquels, à en juger par ce que nous voyons aujourd’hui, sembleraient avoir emporté leur secret. Sans remonter aux nonnes de Robert le Diable aux patineurs du Prophète, qui ne se souvient de ce pas tout récent des amours de Diane dans Pierre de Médicis, gracieux intermède où la Ferraris excellait? Pour ce qui regarde le ballet de Roland à Roncevaux, je conseille aux amateurs du genre de laisser à la porte leurs souvenirs et leurs prétentions. C’est d’un ordinaire et d’un naïf à déconcerter les chorégraphes de la place du Châtelet. Les preux de Charlemagne viennent informer l’émir de Saragosse que, s’il ne consent à recevoir le baptême, sa ville sera rasée, et l’honnête émir profite de cette occasion pour leur donner des jeux. Immédiatement on dresse un dais dans un coin du théâtre; le Bédouin, entouré de sa cour, s’avance avec pompe, s’assied entre sa fille Saïda et ce traître de Ganelon, puis tout aussitôt les danses d’aller leur train. On le voit, comme idée, c’est primitif; nous retournons aux plus beaux jours de la Caravane du Caire :

Prenez part à la fête
Que j’ai fait préparer!


Dirai-je qu’ici l’exécution vaut l’idée? A quoi bon contrister de jeunes et modestes talens qu’il faudrait au contraire encourager, s’ils se produisaient à leur vraie place? C’est une aimable danseuse de second ordre que Mlle Fonta, jamais ni Mlle Fioretti, ni Mlle Montaubry, ni Mlle Baratte, ne dépareront un bon ensemble; mais faire ainsi résolument sortir du corps de ballet de pareils noms pour les étaler superbement, il y a là une prétention au moins singulière, et nous ne pensons pas que le public de l’Opéra permette qu’on abandonne à de simples coryphées l’avant-scène d’un théâtre où depuis vingt ans il a vu passer les Taglioni, les Elssler, les Carlotta Grisi, les Rosati, les Ferraris. Qu’on ne nous dise pas que les étoiles manquent, car il n’en est point des danseuses comme des ténors. Je ne parle pas de notre école française, aujourd’hui hélas! si stérile; mais l’Italie possède encore d’excellens sujets et Saint-Pétersbourg en forme d’admirables. On avait la Mouravief, on ne l’a plus; on avait Mme Zina Mérante, qui seule, au milieu du désarroi général, semblait avoir gardé le secret du grand style : on l’a laissée partir. Tout le monde connaît la combinaison, le système : les sujets coûtent cher, passons-nous d’eux; plus de troupe, mais seulement par occasion des étoiles filantes : Mme Petitpas pour une saison, la Mouravief au cachet! Il est évident qu’à de pareils arrangemens l’économie