Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/112

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Je m’éveillai le dimanche matin au chant des psaumes, qui m’arrivait d’une chapelle voisine. Saint-Mary’s possède deux églises, l’ancienne et la nouvelle. La vieille église, old church, s’élève au milieu des champs : c’est une vénérable ruine dans laquelle on célèbre encore de temps en temps le service pour les morts. La nouvelle est un assez grand édifice construit en 1837, et dont le principal ornement est la simplicité. Le mouvement religieux se trouve d’ailleurs dominé par les sectes dissidentes, celle des ranters[1] a même opéré depuis ces dernières années une véritable réforme dans les mœurs des habitans. Il existe dans la ville deux écoles, l’une primaire pour les filles et les garçons, l’autre, plus avancée, pour les adultes. L’hiver, des cours publics, lectures, ont lieu le soir pour les grandes personnes dans l’école des enfans. Un trait qu’il faut noter à l’honneur de la population de Saint-Mary’s, c’est que dans cette île il n’y a point de pauvres. Si quelque insulaire est incapable de gagner sa vie, les autres viennent sans rien dire à son secours, de sorte qu’on ne rencontre jamais dans la ville ni dans les campagnes la misère en haillons. L’ivrognerie y est inconnue, surtout parmi les femmes. Les jeunes filles sont d’un caractère indépendant et ne veulent point servir. Elles s’engageraient peut-être comme domestiques dans des familles étrangères ; mais dans l’île, où chacun se connaît et vit sur un certain pied d’égalité, leur amour-propre souffrirait d’obéir à une maîtresse. On leur fait plus volontiers apprendre une profession, telle que celle de couturière ou de modiste. Les garçons de leur côté étudient la navigation dans les écoles et deviennent quelque chose de mieux que simples matelots. Les jeunes gens épousent presque toujours des filles de la localité, mais il n’est pas rare qu’on se fasse la cour durant huit ou dix années avant de s’engager dans des liens indissolubles. Faut-il dire qu’il existe une raison secrète à cette longue patience de l’amour ? Le mariage est ici presque toujours une conséquence de la maternité, ce n’est pas la maternité qui est, comme ailleurs, un fruit du mariage. Un pasteur protestant, qui vécut dans l’île pendant quatorze années, n’avait vu tout ce temps-là que deux premiers-nés venir au monde plus de neuf mois après la cérémonie. Il fut si ravi de cette circonstance peu commune, qu’à l’une des mères il fit cadeau d’un joli bonnet pour l’enfant, et à l’autre d’une bible dorée sur tranche. Il n’y a qu’un seul médecin pour toutes les îles : aussi vient-on le chercher avec un bateau pour le conduire à cinq ou six milles en mer dans les villages éparpillés derrière de redoutables falaises. Quand deux femmes font leurs couches en même temps dans deux îles différentes, il faut que l’une d’elles se passe des services de la science, à moins que l’en-

  1. Mot à mot énergumènes ou déclamateurs à cause au caractère de leur prédication.